EO (Hi-Han) : Signes particuliers (en marge du néant)

Âne, mon Sieur âne, ne vois-tu rien venir ?

Du propre aveu de son réalisateur EO doit pas mal, beaucoup voire tout à un autre film vieux de près de soixante ans : le bouleversant et singulier Au hasard Balthazar de Robert Bresson, drame inclassable appréhendant d’un bout à l’autre la vérité ontologique d’un âne en le filmant sous toutes ses sublimes coutures. Véritable chef d’oeuvre du cinéma du siècle dernier celui du réalisateur français (et que d’aucuns nommaient parfois « metteur en ordre », ndlr) constitue aujourd’hui l’une des références majeures de l’Histoire du Cinéma, hissant l’âne-titre au rang des plus beaux modèles du cinéaste de l’aridité formelle et du jeu exsangue d’intonations jugées trop encombrantes pour une authentique probité.

Récompensé du prix du jury au Festival de Cannes de cette année et visible dans nos salles obscures à partir du mercredi 19 octobre le nouveau film du polonais Jerzy Skolimowski déjoue entièrement nos attentes préconçues de spectateurs avides de récits doués de rebondissements et de ressorts narratifs nous laissant tranquillement dans notre zone de confort… Sur un peu moins d’une heure et demi EO perpétue l’idée du chef d’oeuvre de Robert Bresson (montrer le monde à travers le regard d’un âne, ou du moins le montrer tout en se plaçant à ses côtés, ndlr) en en retirant la sève ascétique, monacale, presque ; presque de forme contraire ledit film de l’auteur de Essential Killing enchaîne les fulgurances expérimentales peu ou prou gratuites, mais néanmoins superbes et mémorables : filtres rouges saturés, stroboscopes, reflets lumineux… EO joue de ses formes tranchées sans s’encombrer d’une narration préétablie, fonctionnant moins par effets de causalité que par bribes sensoriels tantôt superbes, tantôt déconcertantes.

L’idée de Jerzy Skolimowski serait d’embrasser son âne, de l’apprivoiser pour mieux développer son récit évoluant fatalement et dépendamment de l’équidé. Ayant eu recours à pas moins de six acteurs quadrupèdes pour interpréter le rôle-titre le cinéaste polonais joue sur la dimension irrationnelle, quasiment extra-sensorielle de son métrage : souvent filmée de près par la caméra (comme un nourrisson happant le giron maternel, ndlr) EO subit son entourage mais demeure tout d’un bloc, entier et résolument authentique… On voit bien alentour quelques êtres humains, mais ceux-ci font souvent bien pâle figure devant la sage résignation de notre ami la bête : hooligans polonais agités et avinés, éleveurs brutaux et équarrisseurs de tout poil, etc…

L’ensemble demeure étrange mais également redoutablement fascinant à voir et à vivre, véritable expérience de cinéma en forme de proposition filmique sublimant son protagoniste. Nous ne retiendrons pas l’éventuelle vacuité scénaristique évoquée plus haut en ces lignes ni la très courte apparition de Isabelle Huppert semblant ici uniquement pour la caution auteurisante pour mieux nous perdre dans un flux visuel tour à tour doux et agressif, contrasté et nuancé dans le même temps. Une curiosité.

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