Memory House : Dans l’oeil camériste de Cristovam…

Ce mercredi 31 août sortira dans nos salles obscures le premier long métrage de João Paulo Miranda Maria, jeune réalisateur aussi déconcertant que prometteur qui nous livre ici un objet filmique proprement fascinant, hypnotique et totalement typique des obsessions du Cinema Novo (l’équivalent brésilien du néoréalisme italien, autrement dit un cinéma fortement préoccupé par les questions d’ordre social et sociétal du pays sus-cité, ndlr). Initialement prévu pour être projeté à l’édition 2020 du Festival de Cannes puis finalement invisible en France jusqu’à aujourd’hui en raison de la crise sanitaire Memory House fut néanmoins récompensé par le Roger Ebert Award la même année au Festival International du Film de Chicago, le jury ayant sans doute été séduit par cette fable crépusculaire aux allures de conte fantastique mâtiné de violence sourde et tenant lieu dans la ruralité de l’arrière-pays brésilien. Focus sur un film que notre rédaction a pu appréhender sous un angle à la fois bienveillant mais finalement mitigé.

Memory House s’ouvre sur une séquence de manufacture laitière d’une blancheur aveuglante, nous présentant sans piper mot la paume gantée et totalement trouée de son protagoniste dans un gros plan tout à fait sidérant : vision buñuellienne sur laquelle João Paulo Miranda Maria aurait malicieusement soufflé pour en enlever l’essaim de fourmis grouillantes cette image porte en germe toute la dimension fantomatique d’un métrage réalisé sous le signe de la hantise et d’un passé sciemment encombrant, pour ne pas dire envahissant. Très vite nous comprenons : cette main appartient au vieux et bourru Cristovam incarné par l’édifiant Antonio Pitanga (l’une des figures de proue du Cinema Novo, vétéran dramatique dont le visage semble tout droit sorti d’un cauchemar ibérique et naturaliste filmé par Pedro Costa), modeste travailleur venu des régions du Nord et condamné à devoir s’acclimater aux décisions managériales de l’usine située quant à elle dans le Sud du pays, héritage européen de l’émigration autrichienne des temps jadis… S’ensuivront les déambulations pugnaces du vieillard trouvant refuge dans la maison-titre (sanctuaire délabré mais régulièrement visité par Cristovam et d’autres indésirables individus), des crimes sociopathes d’animaux tristement inoffensifs et des fréquentations de bouges miteux au coeur desquelles les dysfonctionnements sociaux se dévoilent dans un minimalisme à la fois terrifiant et déprimant.

En résulte une première heure pas loin d’être passionnante, jouant de ses nombreux mystères à renfort d’expression du visible par l’invisible, moment de cinéma n’ayant rien à envier à l’Oeuvre énigmatique empreinte de bestialité de Carlos Reygadas ; de ce point de vue l’évolution du caboclo boiadeiro (signifiant littéralement cowboy métissé en portugais, ndlr) interprété par Antonio Pitanga n’est pas sans rappeler les apparitions fulgurantes du diable cornu et rougeoyant du chef d’oeuvre incompris Post Tenebras Lux sorti il y a près d’une dizaine d’années, être moins enclin à subir ses semblables qu’à se fondre avec les esprits animaux, dans le plus simple des mirages et la plus pure des ascèses… Hélas João Paulo Miranda Maria a bien du mal à conclure son métrage, bouclant son récit dans une vulgaire queue de poisson scénaristique laissant un goût cendré d’inachevé et d’inabouti… Une dernière demi-heure décevante donc, phagocytant de manière un rien racoleuse tout le trouble de ce qui la précédait admirablement jusqu’alors. Et c’est fort dommage.

Memory House demeure toutefois digne d’intérêts, pourvoyeur d’images fantômes semblant provenir des films rémanents du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul (on pense à Tropical Malady parfois, souvent à Oncle Boonmee pour les réminiscences…). João Paulo Miranda Maria fait suffisamment montre de talent et d’inspiration pour que son premier essai invite à sa découverte, proposition de cinéma aux résonances mystiques et fantastiques : c’est à voir.

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