La Mif : La vraie « famille ».

Encore relativement méconnu dans nos contrées hexagonales mais fort d’un vécu conséquent et passionnant (il fut entre autres choses meneur de l’équipe nationale suisse de basket-ball, travailleur pour enfants handicapés et auteur de nombreux documentaires pour la télévision, ndlr) Frédéric Baillif réalise donc La Mif au seuil de ses cinquante printemps, véritable plongée en apnée dans l’intimité sensible d’un foyer pour adolescent(e)s au coeur duquel une poignée de jeunes femmes (se) cherchent tant bien que mal à faire avec leur propre désoeuvrement, allant de frictions en rapprochements, de méfiance en complicité, le tout sous l’oeil inquiet mais bienveillant au possible d’une équipe d’éducateurs chapeautée par l’aguerrie (et tout autant meurtrie) Lora.

Simple, net et entièrement efficace La Mif fait figure de drame saisissant de vérité, éventuel héritage des précédentes réalisations documentaires du cinéaste helvète ; au gré d’un style résolument vériste dépourvu de fioritures esthétisantes ledit métrage suivra donc à la trace les sept adolescentes d’un foyer mixte qui (nous l’apprendrons dès les premières minutes du récit) sera voué à n’accueillir que des occupants de sexe féminin suite aux débordements de l’une d’entre elles sur un jeune mineur de moins de quinze ans. C’est avec une sobriété dure, rêche et mêlée d’humeur cafardeuse que Frédéric Baillif nous présentera tour à tour Audrey, Novinha, Précieuse, Tamra, Justine, Alison et Caroline au gré de cartons purement indicatifs suivis de tranches de vie pour le moins terribles et réalistes, moments d’existence parfois répétés à la manière d’un disque rayé et re-présentés à notre regard selon le point de vue d’un personnage donné. On pense évidemment au célèbre dispositif du Elephant de Gus Van Sant, chef d’oeuvre dont le montage et la narration délibérément morcelés tentaient de retranscrire un vice de fabrication social voire sociétal en faisant exister chacun des kids individuellement, sublimés par la caméra du cinéaste américain. À la manière des teenagers de la Palme d’Or du Festival de Cannes 2003 les jeunes filles de La Mif vont et viennent, ressentent et éprouvent… À ceci près que Frédéric Baillif leur attribue à chacune une histoire véritable, un scénario de vie propre et une charge émotionnelle unique, loin de la sophistication plastique un rien désaffectée du film de Gus Van Sant (ledit dispositif sera d’ailleurs repris très récemment dans Selon la Police de Frédéric Videau, avec largement moins de justesse et d’intérêts, ndlr).

Sans rien vous dévoiler des tenants et aboutissants d’un film que l’on ne saurait que mieux vous conseiller (et qui sortira en salles ce mercredi 9 mars 2022) nous pouvons néanmoins faire le petit éloge d’un drame naturaliste montrant les limites d’un système socio-éducatif s’habituant difficilement aux crises, violences familiales et manque affectif des adolescentes filmées. Un peu à la manière du téléfilm L’enfant de personne de Akim Isker La Mif témoigne de l’incapacité des instances sociales à se substituer aux familles biologiques, cherchant (d’ailleurs souvent avec sincérité et conviction) à garder la bonne distance et la bonne proximité à l’encontre d’une jeunesse livrée à elle-même. La Mif reste un drame âpre et difficile ne cherchant jamais à se rendre sympathique (et encore moins complaisant) aux yeux de son audience, l’une des belles surprises de ce début d’année 2022.

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