As Bestas : Ensemble les bêtes

Jeune et ambitieux Rodrigo Sorogoyen est l’éminent responsable d’une petite poignée de longs métrages au demeurant brillants et redoutables d’efficacité. À 40 ans à peine le réalisateur espagnol a su faire ses preuves de conteur hors-paire doublé d’un formaliste sous-tendant habilement des thématiques à fortiori empreintes de cynisme, de noirceur et de cruauté humaine. Et alors qu’une micro-rétrospective à la Filmothèque du Quartier Latin de Paris lui est consacré jusqu’au 10 août de cette année notre rédaction s’est fait une joie certaine à l’idée de découvrir son nouveau (et non moins virtuose) long métrage de septième art : As Bestas, grand film en acte et chef d’oeuvre en puissance qui constitue indubitablement l’une des plus belles surprises cinématographiques de la nouvelle décennie qui commence.

Au coeur de la Galice Antoine et sa femme Olga, originaires de France, s’attèlent avec ferveur au développement de leurs cultures agroalimentaires. Lui semble robuste, sensé et imperturbablement pondéré dans ses agissements ; elle paraît plus en retrait, bonne vivante à ses heures et entièrement vouée à la prospérité de leur commerce aux aspirations visiblement éco-responsables. Tout semble, dans le microcosme de cette ferme et de ce couple évoluant en bonne intelligence, couler de source et de bonheur non-feint… Ce sera sans compter la rancœur et la malveillance des autochtones du village, bien décidés à nuire au bien-être d’Antoine et de sa femme à force de sous-entendus douteux puis obvieusement racistes, d’asticotages ineptes puis de sabotages en tous genres puis de violences répétées, poussant la placidité du fermier dans ses derniers retranchements.

Au regard de ce synopsis impossible de ne pas songer au Chiens de Paille de Sam Peckinpah, chef d’oeuvre des années 70 avec lequel As Bestas partage un sens de la tension dramatique parfaitement entretenu… Et si le couple anti-héroïque formé à l’époque par le menu Dustin Hoffman et la plantureuse Susan George est ici remplacé par un Denis Ménochet imposant et bourru et une Marina Foïs émaciée la réflexion sur le cercle infernal et vicieux d’une violence prête à exploser à tout moment demeure intacte, terrible preuve que la bêtise humaine traverse fatalement tous les âges et tous les continents d’ici-bas… Miraculeusement Rodrigo Sorogoyen parvient à se démarquer du film de Peckinpah, gagnant en enjeux dramatiques ce qu’il perd en agressivité explicite et racoleuse. Ainsi le public découvrant il y a désormais cinquante ans Les Chiens de Paille sur grand écran a bien dû avoir du mal à déceler autre chose qu’une certaine gratuité au regard des violences perpétrées par cette bande de rednecks littéralement dégénérés, en dépit de la flamboyante virtuosité du montage et de la réalisation opérés par Sam Peckinpah. A contrario Sorogoyen nuance astucieusement son discours, nous invitant à comprendre les motivations de ces paysans galiciens cherchant à nuire au couple de fermiers français.

Écrit comme un thriller et re-présenté comme un western As Bestas est un drame crépusculaire aux allures de film-fleuve proprement impressionnant. Denis Ménochet prouve une fois encore sa formidable capacité à changer de registre d’un film au suivant (nous sommes de ce point de vue loin des extravagances chagrines de la drama queer qu’il interprète dans le récent Peter Von Kant, ndlr), tandis que Marina Foïs excelle dans la peau de cette femme mêlée de froideur et de détermination… Et si le récit bascule de manière entièrement surprenante dans son dernier tiers (au sortir d’une scène de filature forestière dont nous tairons l’issue en ces lieux…) il témoigne en paradoxe d’une unité créatrice joliment salutaire, nouvelle preuve du talent d’écriture et de mise en scène de Rodrigo Sorogoyen. A voir absolument.

3 Commentaires

  1. Ce film est sublime! Réalisateur à suivre de très près 🙂
    Je découvre votre site, et en parcourant vos critiques fouillées, très bien écrites et passionnées, je suis très heureuse d’avoir trouvé une source de confiance pour mes séances cinéma! Merci!
    Nadia

    • Bonjour Nadia,

      Merci pour ce commentaire qui nous fait très plaisir, c’est pour ce genre de beau compliment que vous nous faites que l’on a créé le site, tenu comme vous l’avez décelé avec passion depuis sa création et on compte bien continuer ainsi !

      Alexandre Coudray

      Rédacteur en chef

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