Peter Von Kant : L’amour est plus chiant que la mort

L’évènement n’est pas si surprenant, et à dire vrai voir François Ozon adapter à sa sauce l’un des chefs d’oeuvre majeurs du grand et regretté Rainer Werner Fassbinder passerait presque pour une convenance, une évidence, un passage obligé… Ainsi l’auteur de 8 femmes partage avec le cinéaste allemand des années 70 le même goût pour une théâtralité assumée, un maniérisme jamais loin du kitsch et d’une patine surannée et un expressionnisme dramaturgique jouant d’outrances incessantes et délibérées, mettant en scène des personnages confrontés à des rapports de force physiques et/ou psychologiques, entre soumission et domination, violence et tendresse, chantage et cruauté.

Fruit de l’adaptation cinématographique de sa propre pièce Les larmes amères de Petra Von Kant compte parmi les grandes réussites de l’Oeuvre prolifique de Fassbinder. Récit en huis-clos d’une styliste tombant éperdument amoureuse d’une jeune mannequin jusqu’au point de non-retour ledit chef d’oeuvre de 1972 est donc aujourd’hui revisité par le réalisateur de Sitcom et des Amants Criminels, mettant en scène un réalisateur aguerri (Peter Von Kant, de fait) tombant littéralement sous le charme d’Amir Ben Salem, un jeune éphèbe d’une insolente beauté avec lequel il va vivre dans un premier temps une passion dévorante, puis quelques mois plus tard et au gré d’une astucieuse ellipse une confrontation chargée de jalousie, de réprobation et même de dégoût.

Ainsi François Ozon troque (travestit, plutôt) l’univers de la mode vestimentaire pour celui du Septième Art tout en transposant l’homosexualité des personnages féminins du film original sur des figures masculines pour le moins fortement caractérisées. Entre un Denis Ménochet joliment crédible dans le rôle-titre (sa prestation de parfaite drama queen très, trop hystérique pourra éventuellement irriter les spectateurs les plus exigeants, ndlr) et une Isabelle Adjani horripilante en confidente opportuniste Peter Von Kant ne ressemble en définitive qu’à son réalisateur : une idée de départ proprement stimulante mais un sens du mélodrame trop souvent proche d’une caricature de lui-même, mélange d’excès et d’afféteries laissant in fine sur une impression de plaisir en demi-teintes. Et si ledit film a dû faire en partie sensation lors de l’ouverture de la dernière Berlinale c’est certainement dans son hommage assumé à l’émérite R.W. Fassbinder, transformant presque ce divertissement passablement correct en petit musée imaginaire au coeur duquel Ozon distribue les citations comme autant de micro-fantasmes : carrure imposante et barbe de rigueur de Denis Ménochet rappelant celles que le cinéaste allemand affichait durant ses dernières années, références à d’autres films tels que Le droit du plus fort ou encore Prenez garde à la Sainte-Putain ; on peut en outre distinguer au détour d’une séquence l’affiche d’un film réalisé par Peter Von Kant caustiquement intitulé Der Tod ist heißer als die Liebe (signifiant littéralement La mort est plus chaude que l’amour, ndlr) clin d’oeil à L’amour est plus froid que la mort, l’un des tous premiers longs métrages de Fassbinder sorti au tout début des années 70…

Hélas tout ce drame humain, trop humain n’évoque pas toujours les meilleurs moments du cinéma de François Ozon, plus pertinent lorsqu’il joue la carte de la sobriété (on se rappelle par exemple du magnifique Le temps qui reste ou encore du récent et très bon Grâce à Dieu) que lorsqu’il se livre à du mélo outrancier décidément trop artificiel pour nous captiver plus que de moitié. Restent la présence du bon et surprenant Denis Ménochet dans un contre-emploi tour à tour risqué et étrangement touchant et celle de Hanna Schygulla, égérie fassbinderienne qui incarnait logiquement le rôle du mannequin dans le film originel. Sympathique mais dispensable.

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