Kinjite, Sujet Tabou : Moi, Charles, justicier

Le révisionnisme. Voilà un mot qui revient souvent au sein de nos colonnes et que l’on vit comme l’un des pires fléaux que le septième art connaît ces dernières années. Parmi les exemples les plus probants, difficile de ne pas évoquer la firme Disney qui censure à tour de bras ses classiques afin de se conformer au moule très étriqué de la bien-pensance actuelle. Les pudibonderies, souvent perpétrées par les associations conservatrices, ont le don de nous hérisser les poils jusqu’au fond de notre épiderme. C’est pourquoi nous sommes de fervents défenseurs du format physique. Le fait de posséder une œuvre sur un format figé à un instant T lui évite toute forme de censure puisque personne n’osera débarquer dans votre salon afin de brûler votre collection (du moins, espérons-le). Pourquoi parlons-nous de révisionnisme ici ? Tout simplement parce que le film dont il est ici question ne serait certainement plus acceptable dans nos salles aujourd’hui. Sorti récemment en blu-ray dans un master flambant neuf chez Sidonis, Kinjite : Sujet Tabou représente la fin d’énormément de choses. Il s’agit de la dernière collaboration en 1989 entre Charles Bronson et le réalisateur J. Lee Thompson, le dernier long métrage de Thompson par ailleurs ainsi que l’un des derniers films de Bronson (alors âgé de 68 ans), mais marque également le début de la fin de l’ère de la Cannon qui produit le film (la firme s’éteindra cinq ans plus tard lors de son rachat par la MGM).

Réputé pour son tempérament et ses interventions musclées, l’inspecteur Crowe mène la vie dure à Duke, le chef d’un réseau pédophile qui prostitue des jeunes filles. Lui-même père d’une adolescente, qu’il protège farouchement du monde extérieur, il répond à l’appel d’un riche industriel japonais dont la fille est tombée dans les filets de Duke et de son organisation.

Kinjite est un vestige du passé, un polar noir et violent aux thématiques limites et aux dialogues crus qui ne trouverait certainement plus sa place de nos jours. Nous nous congratulons qu’un éditeur de la trempe de Sidonis daigne mettre en avant un film aussi osé que Kinjite, nous rappelant ainsi que le cinéma reste avant tout un art. Et comme toute forme d’art, elle est le témoin d’une époque, d’une pensée et d’un courant figés au sein d’une époque particulière. On ne peut pas décemment réécrire des œuvres en charcutant impunément leur substantifique moelle sous prétexte qu’elle ne colle plus aux pensées actuelles. D’autant qu’il s’agit là du dernier film d’un réalisateur prolifique à qui l’on doit des pépites comme Les Canons de Navarone, Passeur d’Hommes, Les Nerfs à Vif, Happy Birthday To Me ou encore Le Justicier de Minuit. Certes, Kinjite n’est pas son film le plus probant, en dépit du fait qu’il s’inscrive dans la continuité du Justicier de Minuit pour son approche viscérale et profondément crue de ses séquences chocs. On peut reprocher à Kinjite bien des choses, mais certainement pas la valeur de sa mise en scène. Le réalisateur imbrique trois arcs narratifs au cœur d’une enquête prenante et ne se perd jamais au sein de l’immense toile qu’il tisse. On regrettera toutefois le manque de finalité de certains arcs comme celui de la fille de l’inspecteur qui ne dévoilera jamais à son père qu’elle a identifié son agresseur. Bien que ce dernier en paiera le prix fort pour une raison différente, il y a un goût d’inachevé sur certaines trames scénaristiques. Qu’importe, Kinjite ne se (re)voit pas pour son manque de finesse, bien au contraire. Le film transpire l’essence de la Cannon : l’enchaînement des scènes chocs, un héros impavide qui n’ouvre la bouche que pour asséner punchline sur punchline et un antagoniste qu’on prend bien soin de décrire comme la pire des ordures afin que l’on consente tous les sévices qu’il subit.

Kinjite brille par sa capacité à relancer les enjeux toutes les dix minutes. Le tout est perpétuellement coordonné autour de l’aura mystique d’un Charles Bronson fatigué par le poids de l’âge, mais en totale implication dans son rôle. J. Lee Thompson joue de diverses ruses pour cacher la doublure du comédien lors des séquences d’action. Tout est fait afin de ne pas dénaturer la réputation de son acteur fétiche. Et puis, le film s’apprécie encore plus dans son doublage français d’époque entièrement conservé par Sidonis qui rend justice au plaisir que procure Kinjite. Il faut voir Bronson faire avaler sa montre au proxénète et lui asséner le coup de grâce par une ligne de dialogue mythique du genre : « Maintenant, pour savoir l’heure tu devras regarder entre tes fesses ». Kinjite est, au regard actuel, d’une beauferie abyssale…mais gageons que cet argument ne rassurera que les conservateurs puritains que nous exécrons. De notre point de vue, impossible de ne pas nous replonger dans nos années vidéo-club où louer la dernière VHS de Van Damme, Stallone ou Bronson faisait office d’événement. Possible que la nostalgie l’emporte sur tout et nous empêche un quelconque jugement impartial. Mais n’est-ce pas déjà faussé un regard que de porter un jugement sur un film ? La critique est, par essence, un exercice totalement subjectif qui nous empêche bien trop souvent d’aller au-delà du simple plaisir régressif provoqué par ce genre de productions avec lesquelles nous avons grandi. Cela ne nous empêche pas d’y voir la multitude de défauts, mais tant que l’appréciation demeure intacte, difficile d’aller à l’encontre de ce que nous ressentons.

Kinjite : Sujet Tabou résonne comme un chant du cygne à la fois pour J. Lee Thompson et Charles Bronson. La conclusion de deux belles carrières (bien que Bronson continuera à tourner avec parcimonie pendant encore dix ans) et d’une décennie bien remplie. Kinjite sort en 1989 et s’impose comme un vestige d’une époque laissant place aux nouvelles recrues des années 90 parmi lesquelles les Mel Gibson et autres Bruce Willis domineront le genre à Hollywood, accompagnés par des auteurs de renom comme Shane Black qui possède une plume assassine similaire aux œuvres de Bronson susmentionnées. Kinjite ne peut se revoir autrement que via le prisme d’un adieu aux armes d’un des papas du polar américain. Armes encore détenues par Clint « l’inspecteur Harry » Eastwood désormais seul passeur de flambeau encore actif. Une pépite nostalgique que l’on vous recommande chaudement.

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