Rock-O-Rico : Le blues du coq

Tous les enfants des années 1990 viennent de se raviver des souvenirs impérissables grâce à la collaboration de Rimini Editions. Après nous avoir gratifié de la réédition de Fievel et le Nouveau Monde l’année dernière, l’éditeur continue de puiser dans le formidable catalogue des films de Don Bluth en ressortant le surprenant Rock-O-Rico. Film d’animation indissociable de ses voix françaises (Eddy Mitchell, Lio, Tom Novembre, Philippe Lavil), il s’inspire de la pièce d’Edmond Rostand, Chantecler. Les studios Disney avaient tenté de l’adapter au début des années 1960, mais le film ne fut jamais achevé. Lorsque Don Bluth était animateur chez la firme aux grandes oreilles, il aurait pu donner une impulsion afin de relancer le projet. Seulement, ses visions des films pour enfants étaient loin des idéaux de Disney. Bluth est de ces réalisateurs qui ne prennent pas les enfants pour des esprits faibles. Ses films parlent de deuil, de maladie, de spleen, de désespoir, n’oublient jamais d’être terriblement instructifs tout en distrayant. Des génies comme Don Bluth, il y en a si peu. Voilà pourquoi sa filmographie demeure aussi importante qu’inégalable à ce jour. Les enfants que nous étions ne peuvent que se congratuler de faire découvrir ces sublimes films à nos progénitures. Sortez vos plus beaux cocoricos, ça va swinguer !

Chantecler, le coq le plus rock des fifties, a oublié de chanter un matin et le soleil s’est quand même levé. Ridiculisé, il quitte la ferme, à la grande joie de Grand Duc, le hibou qui va bientôt pouvoir faire régner les ténèbres éternelles. Il faut que Chantecler revienne, mais il est devenu une oisive star du rock à la ville.

Il y a des souvenirs qui demeurent gravés dans notre mémoire à jamais. Comme cette fameuse VHS sur laquelle notre père avait pris soin d’y enregistrer trois films qui nous suivront ad vitam aeternam. Notre entrée dans le monde de Don Bluth, c’est indubitablement à notre père que nous la devons. Imaginez notre émerveillement lorsque nous enchaînions Brisby et le Secret de NIMH, Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles et enfin Rock-O-Rico les mercredis après-midi. Bien évidemment, l’émerveillement était accompagné de chaudes larmes, particulièrement concernant les deux premiers films susmentionnés qui osaient parler de maladie infantile, de deuil et d’orphelinat avec un premier degré tellement sidérant qu’ils nous ont permis de grandir sans prendre la vie comme un long fleuve tranquille. Tout le discours de Don Bluth se résume ainsi : grandir et s’épanouir ne doivent pas se faire en dépit d’un regard direct sur les belles comme les tristes choses de la vie. Pour le cas Rock-O-Rico, Don Bluth délaisse ses thématiques lourdes pour se focaliser sur des aspects minimalistes, mais tout aussi importants. En l’espace d’un peu plus d’une heure, il alerte sur la nécessité écologique au travers d’une séquence paraissant insignifiante dans laquelle Long-Bec s’étouffe dans les ordures qui polluent l’eau des égouts. Don Bluth traite également de spleen et d’orgueil par le biais de l’exclusion de Chantecler et du blues qu’il va traverser. Il y a également les valeurs amicales qui enveloppent tout le film sous les traits de la quête d’Edmond à rassembler tous les animaux. Le fait d’appeler son héros Edmond n’est pas anodin puisqu’il renvoie directement à Edmond Rostand. L’aventure que Bluth fait vivre à son personnage crée le parallèle avec l’auteur de la pièce originale. En faisant d’Edmond un petit garçon, il y a une filiation évidente avec le futur dramaturge qui accouchera de la pièce de théâtre. Ainsi, Bluth incite les enfants à sa tourner vers la lecture après avoir vu son film. L’éducation reste donc au cœur des ambitions de Bluth.

D’un point de vue technique, Rock-O-Rico est une merveille absolue. La copie disponible chez Rimini Éditions rend justice au sublime travail des animateurs du film. Rock-O-Rico se (re)découvre dans les meilleures conditions possibles, la copie blu-ray est sublime. Le film se montre précurseur dans ses animations. Si Disney brillera aux Oscars la même année avec La Belle et la Bête, Rock-O-Rico se tient fièrement dans son ombre en offrant le summum de l’animation classique. Le dispositif de Bluth perdure également en la parenté que son film a avec Le Magicien d’Oz. Toujours dans l’idée de montrer que Disney n’a pas forcément le monopole de la réussite, Bluth calque son esthétique de l’animation mêlant images réelles en allant chercher ses idées chez Robert Zemeckis qui avait cartonné avec Qui Veut la Peau de Roger Rabbit ? quelques années auparavant. Le style visuel de Bluth pour Rock-O-Rico pioche donc entre le classicisme de Disney (là où il a été formé) et la folie des cartoons de chez Warner. Rock-O-Rico est un film hybride de toutes les dernières innovations de l’époque en termes d’animation. Le classique excelle dans la caractérisation des personnages. Chaque animal possède un trait bien marqué qui le définit en tant que tel. Seulement, d’une manière plus générale, Bluth va chercher à s’émanciper de la manière de traiter ce genre de héros en grossissant les défauts de chacun, ce qui rend le discours nettement plus moderne. Ainsi, Long-Bec ne peut exprimer ses émotions que par l’outrance là où Chantecler s’inspire d’Elvis pour grossir son orgueil ou encore le Grand Duc qui passe son temps à torturer son prochain pour asseoir sa méchanceté… Il y a également le neveu du Duc qui prend la fonction du comic relief et qui permet de créer le liant entre tous les personnages. Tout s’imbrique merveilleusement pour à la fois amuser les enfants et créer une vraie connivence avec ce qui les attendra dans leur vie.

En dépit d’un succès mitigé à sa sortie, Rock-O-Rico est typiquement un film qui a été réhabilité avec le temps grâce à l’amour que les enfants lui ont porté en vidéo. Rimini Éditions s’accapare un monument quelque peu oublié du cinéma d’animation afin de préserver sa flamme dans le cœur de ceux qui ne l’ont jamais oublié. En attendant la sortie imminente de Charlie, prochain film de Don Bluth qui réapparaîtra dans le catalogue de Rimini, nous avons hâte d’enfin nous procurer Brisby et le Secret de NIMH ainsi que Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles dans de superbes écrins de la trempe de Rock-O-Rico. A bon entendeur…

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