Keoma : A man who’s free never dies !

Lorsque l’on demande aux fans du genre de citer le dernier grand western italien de l’âge d’or (1963-1978), Keoma est le titre qui revient souvent et sans hésitation. Western crépusculaire qui fait office de bilan sur un genre prolifique ayant fait éclore moult réalisateurs, Keoma est de ces chefs d’œuvre qu’on ne se lasse pas de revoir en boucle. Ressorti dans un superbe digibook chez l’éditeur The Ecstasy of Films qui propose une restauration 2K à partir des négatifs 35mm originaux, Keoma se dévoile comme jamais auparavant. Une copie absolument somptueuse de la part d’un éditeur soucieux des moindres détails et qui nous gratifie également du cd de la bande-originale; musique ô combien significative au cœur du film (mais on y reviendra ci-dessous).

Shannon, un pistolero connu pour être le plus rapide, a recueilli un enfant indien, Keoma, dont la famille a été décimée. Les trois fils Shannon ont très mal accepté le nouveau venu. Lors de la guerre de Sécession, Keoma a été le seul à partir combattre avec l’armée Yankee. A son retour, Keoma découvre le village de son enfance ravagé par la peste et sous la domination d’une milice à la solde d’un riche propriétaire qui a recruté les trois fils de son père adoptif. Keoma entend faire justice.

Outre la sainte trinité des Sergio (Leone, Sollima, Corbucci), le western italien a vu poindre des réalisateurs de renom parmi lesquels Enzo G. Castellari s’est très vite démarqué du lot. Arrivé dans le cinéma par le biais du western (Sept Winchester Pour Un Massacre, 1967), il n’a jamais cessé de clamer qu’il lui doit tout ce qui a façonné son savoir-faire. Lorsqu’il entreprend de tourner Keoma en 1976, il a bien conscience que le genre s’éteint depuis quelques années. L’abondance des westerns au milieu des années 1970 ayant laissé place aux films hybrides qui incluaient bien souvent de la comédie (notamment sous la houlette du fameux duo Terence Hill/Bud Spencer). Castellari souhaite réaliser un film-somme, un dernier baroud d’honneur pour crier une ultime fois son amour. Il va chercher Franco Nero, un de ces acteurs fétiches, et lui propose un contrat sur une simple idée. Nero accepte sans condition et le tournage débute avant même que le scénario ne soit finalisé. Castellari tourne l’introduction et la fin de son film en premier. Après quatre jours de tournage, lorsque les deux hommes eurent le scénario final entre les mains, ils constatèrent de grosses failles. L’histoire n’était pas à la hauteur de leurs ambitions. Ils ne se sont pas laissés démoraliser pour autant et décidèrent de continuer à tourner. La veille de chaque jour de tournage, ils débriefaient et construisaient la journée suivante. Keoma est un film qui s’est monté au fur et à mesure dans le but de coller le plus possible à la fin que les deux hommes avaient imaginé. Toujours dans cette idée de film-somme, Castellari va puiser dans le cinéma des auteurs qui l’inspirent. Un jour, il décrète qu’il va tourner à la manière de Sam Peckinpah, pour une autre séquence il met à l’honneur John Ford là où pour l’introduction il ne cache pas ses influences pour le cinéma de Ingmar Bergman. Castellari tourne son film en se plaçant en tant que spectateur et met en scène ce qui est susceptible de lui vendre du rêve lorsqu’il est confortablement installé devant l’écran. De fait, Keoma est un film qui ne relâche jamais la tension puisqu’il s’évertue à toujours garder les sens de son spectateur en éveil. D’une histoire simple (celle d’un enfant à moitié indien qui n’a jamais été accepté par sa fratrie adoptive et qui entend se venger), Castellari offre le meilleur adieu au genre qu’il ait été possible de réaliser. Keoma est définitivement un chef d’œuvre du genre à ne manquer sous aucun prétexte.

L’autre note de production nécessaire à la création du film provient des inspirations musicales du réalisateur. Castellari, à la fin de ses journées de tournage, montait les séquences du jour en y incluant des chansons de Bob Dylan et de Leonard Cohen. Dans le but de garder la musicalité des images qu’il pré-montait, Castellari demande aux compositeurs du film (les frères Guido et Maurizio De Angelis) de coller aux tons des morceaux qu’il a utilisé. Castellari saluera à merveille la compréhension des deux frères qui ont apporté LA partition musicale idéale au film. D’autant que la musique se révèle extrêmement importante au sein du métrage. Les séquences sont ponctuées de parties musicales chantées où les paroles font avancer la narration. A noter que l’éditeur nous gratifie des sous-titres (qui n’étaient pas présents dans l’édition DVD disponible jusqu’alors) qui sont d’une importance capitale pour apprécier l’avancée de l’histoire. Deux voix se distinguent sur les chansons. Une voix féminine qui s’apparente à la mère biologique de Keoma qui l’appelle régulièrement « mon garçon » et qui fait office de narratrice de l’histoire. Il y a aussi une voix masculine, plus discrète, qui annonce les conflits intérieurs qui taraudent Keoma. Cette dualité musicale entre en parfaite concordance avec les images de Castellari. De plus, Franco Nero semble totalement habité par son personnage et en adéquation avec la musique. Tous les astres sont alignés pour porter le film au firmament, et pourtant Castellari ne se contente pas du minimum syndical. Sa direction artistique fait des merveilles. Chaque plan est parfaitement étudié, calibré et chronométré à la seconde. Keoma possède une richesse visuelle à toute épreuve où chaque séquence mérite une analyse complète tant il y a des choses à dire. Mention spéciale pour la scène de flashback où Keoma se revoit enfant en train de subir les coups de ses trois frères. Le présent et le passé s’imbriquent en un seul plan pour sublimer la rage qui consume le héros. Quelle démonstration de talent. Keoma est un western dirigé avec une maestria inégalable. Il est, de loin, le meilleur film de Castellari.

En voulant scander son amour au genre qu’il l’a révélé, Enzo G. Castellari réalise un western crépusculaire profondément intense. Keoma est indubitablement l’un des meilleurs westerns spaghettis jamais fait. Franco Nero habite totalement son personnage et s’offre l’un de ses meilleurs rôles après Django. La musique des frères De Angelis ne fait pas qu’habiller le film, elle le bonifie. Keoma se (re)découvre chez The Ecstasy of Films dans une édition ultime qui rend justice à ce merveilleux western qui n’en finit pas de nous illuminer de son aura culte. Keoma est un très très grand film !

1 Rétrolien / Ping

  1. 10 000 Façons de Mourir : Point de vue d'un cinéaste sur le western italien -

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*