10 000 Façons de Mourir : Point de vue d’un cinéaste sur le western italien

Des récentes restaurations de Keoma et du Grand Silence en passant par les incontournables films de Sergio Leone ou encore les œuvres plus confidentielles remises au goût du jour par des éditeurs passionnés tels qu’Artus Films, le western italien a le vent en poupe depuis l’avènement du blu-ray et de l’UHD-4K. Genre prolifique en Italie ayant connu un essor court, mais intense, s’étendant sur à peine plus d’une décennie, il est à la croisée de plusieurs chemins. S’inspirant des codes du western classique américain, le western spaghetti va y insuffler les affres des fantômes d’un pays qui entend exorciser ses maux. Plus qu’un simple exercice de style, on y dénote moult inspirations qui façonneront ce que deviendra le cinéma italien par la suite, et plus globalement le cinéma européen. De la comédie au film d’horreur en passant par le drame, le western italien s’est accommodé de tous les genres pour ériger sa grande et impressionnante fresque. Quelques auteurs se sont essayés à lui accorder des ouvrages complets comme Jean-François Giré ou Alain Petit, mais difficile de faire le tour de la question tant le genre s’est montré plus vaste qu’on ne veut bien le penser. Sans compter les dizaines de films aujourd’hui introuvables, impossible de faire un état des lieux complet. C’est avec un postulat similaire que le réalisateur Alex Cox (Sid & Nancy, La Mort En Prime, Straight to Hell) s’est lancé dans la confection de son ouvrage 10 000 Façons de Mourir. Paru dans son édition augmentée chez Carlotta Films, la réédition de ce pavé conséquent de presque 700 pages, revient sur l’entièreté de la vague des westerns spaghetti ayant considérablement influencé son auteur.

Ce qui rend l’ouvrage si différent et intéressant provient de sa forme. 10 000 Façons de Mourir n’est aucunement à prendre comme une encyclopédie, mais plutôt comme une archive immense des souvenirs de son auteur. Tel un blog accouché sur papier, Alex Cox retrace des carrières qu’il a suivi avec assiduité et passion. La version augmentée disponible chez Carlotta lui a permis de réévaluer certains films qu’il n’avait pu revoir au moment de la première parution de son ouvrage en 2009. Il réhabilite des œuvres avec lesquelles il s’est montré trop sévère. Il appuie également ses arguments sur d’autres avec lesquelles il ne partage pas de grandes affinités. 10 000 Façons de Mourir est un livre-somme, un point de vue critique de la part d’un acteur/réalisateur/auteur envers le genre qu’il affectionne le plus. Cette nouvelle mouture lui a permis également de supprimer le plus possible le terme « western spaghetti » qu’il juge dépréciatif et injuste là où il entend bien remettre au cœur du sujet le genre auquel il s’attaque : le western. Un western européen, certes, et italien dans la plupart des cas, mais l’affubler de « spaghetti » lui hérisse les poils. Enfin, cette édition augmentée lui offre l’occasion de rendre un hommage plus appuyé à des figures emblématiques du genre avec lesquelles il s’était montré évasif tels que Giulio Questi, Carlo Lizzani ou encore Tomas Milian. Un livre qui va de pair avec la beauté d’une culture cinéphile qui ne cesse de s’accroître afin de nous fournir une mise à jour la plus précise possible des pensées de son auteur.

En choisissant de construire son chapitrage par ordre chronologique des sorties, Alex Cox dresse plus facilement un tableau cohérent sur les diverses œuvres ayant influencées tels ou tels auteurs. On y voit poindre également le modèle économique que s’est approprié le genre au fil des productions. De fait, il n’a pas la même approche lorsqu’il analyse Massacre Au Grand Canyon de Sergio Corbucci (1963) que lorsqu’il s’attaque à Un Génie, Deux Associés, Une Cloche de Damiano Damiani (1975). En profilant l’évolution du système économique comme fil rouge, Alex Cox parvient à prendre du recul sur le regard qu’il porte au genre et nous transmet tous les sentiments qu’il ressent pour chacune des œuvres qu’il décortique. Avec une mise en page claire et limpide où il dresse une fiche technique de chacun des films qu’il aborde avant de rentrer dans le vif du sujet, son livre est aussi ludique qu’il ne nous perd jamais. Qu’il encense ou descende un film importe peu, l’essence même qui nous anime à tourner les pages provient des mots employés par Cox. Bien loin des sempiternelles formules pompeuses des critiques où rien ne déborde et où tout est parfois très lisse, nous avons droit à des mots et des points de vue enthousiastes ainsi qu’à une vision bien précise de l’industrie de la part d’un auteur qui connaît mieux que quiconque l’envers du décors.

Être d’accord avec Alex Cox ou non ne devient donc pas le moteur de notre lecture. Par le biais de son découpage incisif, l’auteur parvient à nous ramener vers une époque que nous n’avons pas connu, mais dans laquelle nous avons l’impression d’avoir vécu une fois la lecture terminée. 10 000 Façons de Mourir possède cette aura testamentaire, sorte de fulgurance littéraire de la part d’un passionné qui efface tous les artifices inhérents à la critique pour n’en garder que les souvenirs émotionnels. Un livre qui saura vous faire passer de jolies heures de lecture et vous donner l’envie d’aller dénicher toutes les perles qui y sont citées tant Alex Cox possède une écriture universelle et compréhensive par tous. Et même si d’aucuns trouveront ses avis tranchés parfois trop radicaux (il faut voir comment il rhabille sévèrement Clint Eastwood ou Le Dernier Face à Face de Sergio Sollima) ou se scandaliseront sur le peu d’intérêt porté à certains de leurs films favoris (une seule ligne sur Keoma d’Enzo G. Castellari !), 10 000 Façons de Mourir demeure un ouvrage suffisamment argumenté pour susciter un vif intérêt.

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