Nuit d’Ivresse : Et bonne année !

Durant les années 1980, la troupe du théâtre du Splendid a plus que le vent en poupe. Depuis le succès national de l’adaptation de l’une de leurs pièces en 1978, Les Bronzés, la comédie française n’a d’yeux que pour elle. Très vite, les pièces se sont multipliées pour Le Splendid. Les plus notables auront toutes droit à leur adaptation cinématographique, de Papy Fait de la Résistance à Bunny’s Bar en passant par Je Vais Craquer et l’indétrônable Père-Noël Est Une Ordure, toutes offriront des films devenus cultes pour une multitude de générations. Nuit d’Ivresse est écrit par Josiane Balasko en 1985. Elle y interprète le premier rôle féminin tandis que Michel Blanc est chargé de lui donner la réplique. La pièce est un succès et ne tarde pas à donner naissance à son homonyme cinématographique. Nuit d’Ivresse, le film, sort sur nos écrans en 1986. Josiane Balasko chapeaute toujours au scénario, aidée par Thierry Lhermitte (qui remplace Michel Blanc occupé chez Bertrand Blier pour Tenue de Soirée, ce qui lui vaudra le César 1987 du Meilleur Acteur). Balasko confie la réalisation de son bébé à Bernard Nauer, réalisateur discret qui s’est énormément consacré au documentaire avant d’abandonner définitivement le monde du cinéma afin de se consacrer entièrement à sa seconde passion : le vin ! Il n’y avait qu’un passionné viticole pour prendre les commandes d’une comédie où l’alcool coule à torrent. Nuit d’Ivresse s’offre un écrin flambant neuf sous la houlette de Rimini Editions qui nous octroient un master HD tout beau, tout propre, agrémenté de bonus qui raviront les inconditionnels du film.

Un soir de réveillon de la Saint-Sylvestre, Jacques Belin, animateur d’un jeu télévisé à succès, attend sa fiancée dans un bar de la Gare de l’Est. Il y fait la connaissance de Fred, une femme qui sort de prison, venue prendre un train pour rendre visite à sa sœur qui habite Metz. Tout les oppose et, pourtant, cette nuit très arrosée et pleine de surprises va les rapprocher. Le réveil de Jacques, au petit matin, ne sera pas du même acabit.

Comédie notable (culte pour certains) à laquelle les chaînes de télévision réservaient un créneau régulier auparavant, Nuit d’Ivresse était quelque peu tombé dans l’oubli ces dernières années, rangé parmi les productions « mineures » adaptées du Splendid. Pourtant, le film possède tous les atouts inhérents à l’écriture de Josiane Balasko : des répliques cinglantes devenues incontournables (« Alors Marc-André, c’est curieux, je pensais que l’entrée était interdite aux enculés mondains ! »« Hé bien, ta robe, elle n’est pas rancunière ! » – et bien entendu, l’inévitable « Z’avez une de ces descentes vous, j’aimerais pas la faire en vélo ! »), des acteurs au firmament de leur talent et surtout, un sous-texte qui va taper sur les hautes institutions, mais qui n’oublie pas de se montrer généreusement romantique également. Mais, attention, on parle d’un romantisme à la Josiane Balasko. A bien regarder de près, il est étonnant de constater cette quête permanente de l’amour dans énormément de films qu’elle a écrit/joué/réalisé. Plus que la recherche de l’amour, il y a cette soif de reconnaissance, comme si elle ne se sentait pas légitime à voler de ses propres ailes en dehors des balises fondatrices du comique de la troupe du Splendid. Balasko aime interpréter des femmes qu’elle juge « moches », ces femmes rejetées par le conformisme esthétique et qui doivent s’affirmer par un caractère fort. Alors que, soyons honnête, Josiane Balasko était loin d’être laide comme elle laissait le supposer dans ses œuvres. Seulement, cette quête inépuisable de la conquête de l’amour (autant dans l’être aimé que dans sa relation avec son public) a énormément construit son cinéma : Les Hommes Préfèrent les Grosses, Ma Vie Est Un Enfer, Gazon Maudit, Arlette. Et même lorsque son personnage a une fonction bien déterminée, qu’elle soit flic (Les Keufs) ou encore rockeuse (La Smala), il y a toujours ce retour de la passion qui vient la dévorer. Nuit d’Ivresse ne déroge pas à cette règle. Elle y interprète une femme brisée par un passé qui pèse sur elle (elle sort de prison, on ne saura jamais vraiment pour quel crime, mais nul besoin de le connaître pour savoir qu’elle en a bavé) et qui n’aspire qu’a un regard, un geste tendre, une parole douce…qui n’aspire qu’à exister tout simplement. Avec son personnage de Fred, Balasko s’offre probablement l’une de ses meilleures compositions en alliant parfaitement un dosage périlleux entre slapstick sauvage à nous faire hurler de rire et fragilité à fleur de peau qui nous donne envie de la prendre dans nos bras. Nul besoin de le rappeler une fois encore que Balasko est une excellente comédienne.

Bien évidemment, l’osmose avec Thierry Lhermitte est une évidence. Les deux acteurs se connaissent par cœur et savent parfaitement comment donner du corps à leurs dialogues. Parce que Nuit d’Ivresse, à l’instar du Père-Noël Est Une Ordure, fait parti de ces adaptations qui reposent essentiellement sur les dialogues. Bernard Nauer se contente de champ/contre-champ pour donner vie aux situations. Il demeure, néanmoins, quelques séquences où le réalisateur se différencie d’un simple projet typé « théâtre filmé » et qui nous rappellent que nous sommes bien devant un film. La scène du baiser dans la fontaine où Nauer, par un jeu malicieux de pano-travelling, nous enivre du moment avec ses héros et parvient à nous berner pour ne pas qu’on se rende compte que ces derniers sont entrés dans la fontaine est une sacré séquence. Toute la scène du réveil de Jacques dans son appartement qui ne croise jamais Fred est directement empruntée aux meilleures comédies muettes de l’histoire. Ici, le choix des cadres et, surtout, l’orchestration des gags au millimètre en font une des scènes les plus drôles en matière de comique visuel. Nuit d’Ivresse, s’il brille par ses dialogues enflammés et la majestueuse présence de ses comédiens, peut également se targuer d’offrir de magnifiques séquences diaboliquement orchestrées et pensées. Quel dommage que Nauer n’ait pas persévéré dans le cinéma. Il réalisera Les Truffes avec Jean Reno en 1995 puis ne reviendra plus jamais sur grand écran. Il y avait de belles idées dans sa mise en scène, nous aurions adoré le voir exploser au sein de l’industrie, mais l’appel des vignes aura eu raison de ses motivations.

En attendant, congratulons-nous d’avoir de superbes éditeurs de la trempe de Rimini Éditions. Nuit d’Ivresse se (re)découvre dans une édition définitive incontournable pour quiconque apprécie un temps soit peu le travail de Josiane Balasko. Les vannes n’ont pas vieilli d’un iota et arrachent toujours des rires francs et massifs. Nuit d’Ivresse est un must have en puissance, une comédie singulière et piquante et donc, de facto, indispensable !

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