Les Yeux de Satan : Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font

Editeur éclectique s’étant frayé une place de choix au sein de notre rédaction tant nous en parlons souvent, Rimini Editions réitère toute l’admiration qu’on lui porte en sortant Les yeux de Satan, film méconnu du brillant Sidney Lumet, disponible en combo Blu-ray + DVD depuis le 16 mars dernier. Evidemment, nous nous sommes jetés avec gourmandise sur l’opportunité et nous avons découvert un film mineur dans la filmographie du cinéaste, coincé entre les deux grands films que sont Le Gang Anderson et The Offence, mais néanmoins tout à fait intéressant.

Passons déjà sur le titre français complètement stupide qui n’a absolument aucun sens et qui tâche de faire croire au spectateur que nous sommes face à un film à tendance surnaturelle et démoniaque. Si l’ambiance pesante travaillée par Lumet prend effectivement parfois une allure surnaturelle sans jamais véritablement trancher sur la question, ici point de Satan, que ce soit ses yeux ou ses oreilles. Le titre original est déjà beaucoup plus révélateur : Child’s Play, jeu d’enfant donc, quelques années avant que le premier film de la saga Chucky ne porte ce nom.

De fait, il s’agit bien d’enfants ici ou du moins d’adolescents. Dans un lycée catholique pour garçons, de plus en plus d’incidents violents éclatent entre les élèves sans que les professeurs n’arrivent à exercer leur autorité. Paul Reis, lui-même ancien élève de l’école et nouveau prof de sport, est choqué par la brutalité des étudiants qui n’avancent aucune excuse pour justifier leurs actes. Reis se retrouve pris au milieu d’un conflit entre professeurs semblant alimenter toutes les tensions. D’un côté, Dobbs, professeur d’anglais tirant sa fierté de l’amitié que ses élèves lui portent et de l’autre, Malley, professeur de latin austère et rigide, presque aussi vieux que l’école et refusant de changer ses méthodes. Malley, paranoïaque, est persuadé que Dobbs le hait et que c’est lui qui le tourmente en appelant à son domicile ou en lui envoyant des magazines pornographiques. S’enfonçant dans sa paranoïa, il semble de plus en plus perdre pied à mesure que les incidents entre élèves se multiplient…

Nous n’en dirons pas plus pour ne pas trop en dévoiler mais force est de constater que Lumet sait tirer parti des éléments qu’il a à sa disposition. Basé sur une pièce de théâtre, Les yeux de Satan n’est certes pas complètement maîtrisé quand il s’agit de vaguement flirter avec le surnaturel – ou tout du moins de le suggérer mais fait mouche quand il concentre ses enjeux sur ses personnages, s’amusant peu à peu à bousculer les avis que l’on avait déjà établi sur eux. Ainsi, de prof sympathique et compréhensif, Dobbs dévoile quelques zones d’ombre, notamment un amour pour ses élèves dépassant le cadre professionnel (et à travers quelques échanges entre les personnages, on peut penser que Reis a été l’amant de Dobbs quand celui-ci était son professeur) tandis que de professeur rigide, Malley apparaît comme un homme vieillissant meurtri au plus profond de lui-même, gardant avec sentimentalisme tout ce que ses anciens élèves ont pu lui envoyer en reconnaissance de leur apprentissage.

C’est l’occasion de redire combien Lumet était un grand directeur d’acteur, sachant les mener exactement où il le voulait, toujours au service du film. Si Beau Bridges et Robert Preston offrent de très belles prestations, c’est James Mason qui a le meilleur rôle du film, celui de Malley dans lequel il s’investit totalement. Exprimant sur tout son visage la douleur s’emparant peu à peu de lui à mesure que ses convictions rigides s’écroulent, Mason offre une prestation bluffante, embrassant la nature tragique et pathétique de son personnage en lui conférant une humanité inattendue.

Lumet n’est cependant pas totalement à l’aise avec l’ensemble et il est finalement plus intéressé par les tensions entre les professeurs et les conflits qui en découlent (ce conflit entre le collectif et l’individu, thématique majeure de son cinéma) que par le traitement des incidents entre élèves, qu’il réalise comme des passages obligés sans trop savoir quelle tonalité leur donner. Il fait tout de suite preuve de plus de maîtrise quand il illustre via sa mise en scène et sa photographie (orchestrée par Gerald Hirschfeld, à qui l’on doit également la photo de Point Limite et Frankenstein Junior) les tensions entre ses trois personnages principaux, sachant parfaitement jouer avec les zones d’ombre pour mieux illustrer la noirceur et la douleur les habitant. Difficile d’être sévère avec ce film pas toujours bien équilibré certes mais cependant passionnant, permettant d’enrichir la filmographie de Sidney Lumet et d’explorer un peu plus la noirceur de l’être humain, chose qui, en compagnie de James Mason, est toujours excellente.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*