Le Milieu de l’Horizon : Le temps d’une rencontre avec Delphine Lehericey…

Réalisatrice francophone des plus prometteuses, metteuse en scène et en image d’un regard d’une élégante acuité Delphine Lehericey a bien voulu nous accorder de son temps afin de revenir sur son deuxième long métrage de fiction : le beau et pour le moins réussi Le Milieu de l’Horizon qui sort dans nos salles le mercredi 20 octobre de cette année. Rencontre avec une cinéaste aux convictions dramaturgiques et esthétiques joliment prononcées.

Bonsoir Delphine, pour commencer j’aimerais revenir sur l’action de votre film, tenant lieu dans une région insituable, presque indéterminée : on voit par exemple une plaque d’immatriculation évoquant le Jura (département 39, ndlr), les scènes de baignade dans le réservoir portent l’empreinte des décors bulgares et l’univers de l’élevage de poulets sur des terrains plats font quant à eux penser à la Bresse… Était-ce un moyen pour vous de rendre votre propos plus universel ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur le choix des lieux de tournage du Milieu de l’Horizon ?

C’est exactement ça. C’était effectivement pour rendre compte de cette sécheresse qui a donc eu lieu en 1976 dans tout le Nord de l’Europe. Mon film est à la base adapté d’un roman éponyme qui a eu pas mal de succès, écrit par un auteur de Suisse romande nommé Roland Buti qui raconte l’histoire s’étant déroulée dans sa propre famille. Nous avions dans un premier temps pour projet de tourner en Suisse ou en Belgique (je suis une réalisatrice d’origine belge et suisse) pour adapter le roman, puis nous avons ensuite pensé à la France comme cadre de tournage… Mais la « saveur » des films de Marcel Pagnol ne convenait pas à notre propos : la chaleur, le bruit des cigales et les paysages rasés par le soleil auraient donné l’illusion aux spectateurs d’être au coeur de la Provence. Cette perte de repères quant aux lieux se retrouve d’ailleurs dans mes films précédents. Je cherche avant tout à filmer une francophonie, au sens large du terme, se situant clairement en Europe, mais la question d’un lieu précis ne m’intéresse guère, même en temps que spectatrice. L’objectif était donc de rendre le propos le plus universel possible afin que le spectateur se retrouve dans les personnages…

On a donc tourné en Macédoine, certains d’avoir suffisamment de chaleur et de canicule susceptibles de recréer l’atmosphère du récit. À contrario la Suisse ou la Belgique auraient davantage promis un temps pluvieux et de l’herbe bien verte et bien grasse. Pour la petite anecdote la canicule a touché presque toute l’Europe durant l’été 2018… exceptée en Macédoine où nous avions débuté le tournage ! Mais nous nous en sommes finalement pas trop mal tirés (amusée).

J’ai été frappé par la crédibilité du casting : on croit véritablement à cette famille d’abord très soudée qui se disloque avec l’arrivée du personnage de Cécile interprétée par Clémence Poésy. Comment avez-vous entrepris le casting ?

J’ai commencé par chercher un enfant en Suisse correspondant à la personnalité du personnage du roman, tout en souhaitant le rendre plus actif, moins pensif que dans l’ouvrage original ; filmer quelqu’un en train de penser me semblait pour ainsi dire ennuyeux. Mon choix s’est donc arrêté sur Luc Bruchez. Dans le même temps j’ai choisi assez rapidement Lætitia Casta pour le rôle de Nicole qui – heureux hasard – ressemble pas mal à Luc physiquement. Ils se sont de plus très bien entendus et se sont fréquentés régulièrement avant et pendant le tournage ; Lætitia s’est investie dans son rôle de mère avec beaucoup d’engagement, prenant énormément de plaisir dans cette relation d’actrice à acteur la liant au jeune Luc. Elle a d’ailleurs accepté le rôle assez rapidement.

En ce qui concerne le rôle de Jean je suis venu un peu plus tard à la rencontre de Thibaut Evrard. J’avais dans un premier temps pensé à travailler avec Jalil Lespert qui était indisponible à l’époque malgré son fort intérêt pour le scénario. De plus sa présence à l’écran et son physique avantageux en compagnie d’une autre star (Lætitia Casta) aurait sans doute été un peu too much pour le propos de mon film… J’ai alors vu Thibaut au théâtre dans un spectacle mis en scène par Vincent Macaigne : il m’a semblé très bestial, très animal, chose rare pour les acteurs francophones. Sa personnalité m’a réellement séduite, et je l’ai par conséquent choisi pour le rôle du père. Voilà comment s’est construite la famille de mon film.

Concernant Luc Bruchez je lui trouve une forte ressemblance avec Swann Arlaud, rôle-titre de Petit Paysan. Ce film a t-il été une source d’influence pour le Milieu de l’Horizon (dans la mesure où les deux films dépeignent le monde agricole) ou pas du tout ?

Je n’y ai pas du tout pensé personnellement. En revanche les distributeurs, à la lecture du scénario, spéculaient plus ou moins sur le succès de Petit Paysan pour savoir si – oui ou non – ils se risquaient à financer mon projet, qui traite lui aussi de la paysannerie. Entre-temps (après la fabrication du film, le Covid et les reports de sorties) Au Nom de la Terre de Guillaume Canet a lui aussi été à l’affiche. Disons qu’avec un film partant d’une telle thématique on se retrouve forcément à être l’objet d’une comparaison. Mais Le Milieu de l’Horizon est selon moi un film d’époque avant toute chose, un film sur la sécheresse et sur la fatalité de l’existence, qui en outre rassemble différentes thèmes tels que la question féminine… La comparaison s’est faite un peu à mon corps défendant, même si personnellement j’aime beaucoup Petit Paysan ! Je me suis en revanche beaucoup documentée sur des images de l’INA et sur les films sortis entre 1976 et 1977, les films de Joseph Losey, ceux de Louis Malle… Ils m’ont bien davantage influencé que les films que vous évoquiez précédemment, aussi bien au niveau de l’image que de la mise en scène. Du reste le choix de tourner en 35mm fut l’un de mes chevaux de bataille par rapport à mes producteurs, ce qui montre bien que je me suis vite éloigné de ces films français très contemporains, très beaux et très bien réalisés sur la paysannerie certes, mais bien plus revendicateurs sur le plan de la question agricole que Le Milieu de l’Horizon. A mon sens mon film ne se limite pas exclusivement au monde de la paysannerie.

Je voudrais justement revenir sur la beauté visuelle du film et le choix d’avoir tourné en pellicule 35mm : on remarque l’importance des ciels aux bleus très prononcés, la quasi-absence de nuages dans une bonne partie du film. Avez-vous de ce point de vue attendu la fameuse « heure magique » à la manière de Cimino sur La Porte du Paradis ?

J’aurai adoré pouvoir faire ça ! Malheureusement après avoir obtenu de tourner en 35mm en Macédoine, de transbahuter la pellicule du tournage jusqu’à la Belgique avec les risques artistiques et financiers que cela impliquait mes producteurs ne m’ont autorisé qu’à une ou deux reprises de tourner dans de telles conditions (à savoir l’heure magique ou l’heure du soleil couchant, moment durant à peine quelques minutes…). On a donc tenté avec mon chef opérateur franco-belge Christophe Beaucarne de rester fidèle aux moyens dont on disposait (peu d’éclairages, équipe réduite) et de faire confiance à la pellicule au moment où nous tournions. On a tout de même eu deux moments un peu magiques : celui de la mort du cheval au coucher du soleil et un autre dans lequel le tracteur du père traverse un champ sous un soleil rasant, moment où les enfants se retrouvent seuls dès lors que la mère est partie… Hormis ces deux précieux instants nous avons dû nous adapter aux circonstances.

Pour conclure j’aimerais savoir comment vous vous y êtes prise pour tourner la scène de l’orage arrivant dans le dernier quart d’heure du film : son aspect bigger than life dénote avec la dimension plus ordinaire, ou du moins plus intimiste, moins spectaculaire des autres séquences…

C’est une espèce de cohésion d’équipe, de découpage et de préparation en quelque sorte… Cette scène nous a étonnamment moins pesé que la plupart des autres scènes (je pense notamment aux séquences de repas, à priori plus banales dans leur rendu mais finalement plus fastidieuse à tourner et à mettre en place). On a détruit le décor au fur et à mesure de son évolution, en l’ayant préalablement conçu pour qu’il soit « inondable » avec de faux poulets flottant à la surface… Nous avons même utilisé des StrikeLights provenant de Londres afin de donner l’illusion d’un ciel en proie aux éclairs, pour une durée limitée à deux journées de travail seulement. Ce fut le moment le plus réjouissant du tournage, on avait presque l’impression d’être sur un véritable film d’action… satisfaction d’autant plus grande que les acteurs de cette scène se sont donnés à 100% ces deux soirs en termes d’énergie et de dramaturgie, excités par cette technologie débarquée en plein coeur de la Macédoine ! Être parvenus à refabriquer cet orage et cette inondation après avoir enduré plusieurs semaines de vraie pluie et de climat cataclysmique fut finalement assez jouissif pour nous.

Propos recueillis par Thomas Chalamel le 11 octobre 2021. Un grand merci à Delphine Lehericey et à Anne-Lise Kontz.

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