Le Milieu de l’Horizon : à demi-ensemble…

Delphine Lehericey… Un nom sur lequel il faudra sans doutes compter dès à présent. Et pour cause : son deuxième long métrage de fiction sobrement et poétiquement intitulé Le Milieu de l’Horizon, promenade estivale mêlée de cieux bleus azurés et d’orages familiaux tenant lieu dans une contrée francophone délibérément indéterminée (sommes-nous en terre jurassienne ? Dans la campagne bressane ? Entre la Suisse et la Belgique ?…), balade vue à travers les yeux du jeune Gus sous le soleil caniculaire de l’été 1976. Initialement tourné au coeur de l’année 2018 en région macédonienne, Le Milieu de l’Horizon ne sort finalement que le mercredi 20 octobre 2021 dans nos salles obscures, victime de l’embouteillage des sorties causé par la tristement incontournable crise sanitaire actuelle. Tourné en format pellicule 35mm ledit film est de toute évidence le portrait d’une famille à priori sans histoires, sphère intime composée d’un père agriculteur stakhanoviste nommé Jean (Thibaut Evrard) et de sa femme Nicole (Lætitia Casta), de leurs deux enfants Léa et Gus (Luc Bruchez, véritable révélation du métrage) et de leur neveu Rudy (Fred Hotier, que Delphine Lehericey avait d’ores et déjà remarqué dans le Bang Gang de Eva Husson réalisé quelques années plus tôt…). Une famille soudée, aimante mais pas toujours disponible pour le jeune Gus alors en pleine ambivalence préadolescente au moment où le film s’ouvre sur les routes bitumées d’une campagne insituable et visiblement imprenable, famille dont les tensions sous-jacentes vont finir par se manifester puis exploser suite à l’arrivée de la jeune et belle Cécile, ancienne connaissance de Nicole interprétée par la charmante Clémence Poésy…

Commençant sans préambule, presque au diapason du mouvement des choses et des personnages Le Milieu de l’Horizon s’ouvre donc sur Gus et sa vélocité cycliste, directement « dans le feu de l’action ». Si le ressort dramatique n’est pas sans rappeler le cinéma des frères Dardenne le traitement opéré par la réalisatrice est ici tout autre : cadrages proprets, lumière dense et rayonnante, peu de caméra à l’épaule, mouvements typiquement steady… Dès ses premières minutes Le Milieu de l’Horizon témoigne de son emballage formel particulièrement chiadé et de son extrême précision dramaturgique et scénographique, évitant gracieusement les installations pompeuses et maladroites susceptibles d’introduire les différents personnages de son intrigue (aucun carton ou voix-off ne vient surligner ce que l’on devine rapidement concernant la famille de Gus). Du reste l’année 1976 n’est jamais réellement nommée explicitement d’un bout à l’autre du métrage, malgré une reconstitution « historique » savamment élaborée par Delphine Lehericey : entre une discussion sur la séance du Ciné-Club du village évoquant Les Dents de la Mer de Steven Spielberg (pierre angulaire du blockbuster hollywoodien sorti en salles en 1975, ndlr), une musique des Fuzzies entendue à la radio dont le clip n’est pas sans rappeler l’univers de la première trilogie Star Wars ou encore bon nombre d’accessoires renvoyant logiquement aux seventies (les revues Pilote et les revues pornographiques que Gus chaparde dans le tabac-presse des alentours, entre autres choses…) les motifs dramatiques du Milieu de l’Horizon témoignent d’un souci documentaire proprement respectable voire louable de la part de son auteure, parvenant à transformer l’universalité de son propos somme toute très ordinaire (le film ne raconte ni plus ni moins qu’un drame familial vécu par un gamin pendant les grandes vacances, à la manière du magnifique film Le Grand Chemin sorti sur les écrans en 1987, ndlr) en un portrait purement spécifique et passionnant in fine.

Remarquablement réalisé ledit film multiplie habilement les valeurs de plan tout en privilégiant les plans larges et ceux de demi-ensemble. Malgré un style propre, compassé presque, le récit de cette famille qui va peu à peu se disloquer sous nos yeux se voit hautement mis en valeur par un casting de tout premier choix, dont la pertinence et la crédibilité frappent dès les premières minutes. Il n’y a de fait pas grand chose à reprocher au film : subtilité de l’écriture, adéquation de chaque comédienne et de chaque comédien, mise en scène galvanisée insufflant de la puissance à une intrigue somme toute commune… Sans esbroufe, mais avec une volonté de faire exister chaque détail de son film, Delphine Lehericey s’exprime peut-être trop à la manière d’une bonne élève, trop perfectionniste pour un long métrage qui – au premier visionnage du moins – ne semble pas mériter autant de précision au regard du sujet et de son ampleur intrinsèque. La réussite du film tient indiscutablement à sa justesse et à son équilibre, et s’il ne dépasse jamais vraiment son sujet initial il touche dans le même temps à l’intime et à l’universel, aux beautés ainsi qu’aux bassesses de l’être humain : ambiguïté de la relation liant Cécile à Nicole, voyeurisme du jeune Gus compulsant les revues de charme ou encore violence domestique de Jean sur sa femme (Thibaut Evrard est impeccable en patriarche bourru et peu commode) et violence effrontée de Gus sur sa camarade Mado…

En se concentrant sur cette famille et en en évoquant à peine le voisinage (on distingue néanmoins çà et là les quolibets des paysans des environs suite à la tromperie dont Jean essuie péniblement l’affront…) Delphine Lehericey accouche d’un film à l’atmosphère étouffante, à l’image de cette canicule contextuelle jalonnant le métrage au gré d’un ciel débarrassé de tout cumulus. La beauté des images, dense et pleine de relief réserve de ce point de vue d’authentiques éclats de cinéma, preuves d’un second long métrage à la cohérence narrative et esthétique certaine. Il faudra de toute évidence suivre de très près cette réalisatrice franco-suisse répondant au nom de Delphine Lehericey, auteure livrant avec Le Milieu de l’Horizon un drame familial aux allures de saga. C’est superbe.

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