Les Derniers Soleils : Rencontre avec le réalisateur Arthur Mercier

L’univers des court métrages est un milieu fascinant où l’on peut découvrir des personnalités passionnantes et où l’art s’exprime par des moyens bien différents des salles obscures. Avec ce court atypique qu’est Les Derniers Soleils, nous avons voulu rencontrer son auteur et réalisateur, Arthur Mercier, qui a accepté avec plaisir notre invitation. Pour diverses raisons, nous avons privilégié l’entretien en visio. Cela n’empêchera pas notre invité de se livrer à cœur ouvert sur son œuvre et de nous partager toute l’histoire de sa création. Un entretien particulièrement riche et bienveillant que nous sommes fiers de vous partager ici.

Tout d’abord, bonjour et merci d’avoir accepté cet entretien en visio.

Bonjour et merci à vous.

Bien que votre court métrage soit ancré dans une réalité très cartésienne, on peut tout de même y déceler une énorme part de mythologie. Il y a de nombreux éléments qui pourraient être développés indépendamment.

Ce qui m’importait, c’était de conserver une certaine échelle intimiste. Pour faire croire à la fin du monde avec peu de budget, il faut tout miser sur le hors champs. Le film a été pensé comme cela : comment créer beaucoup d’invisible tout en le faisant exister. Que ce soit par le son, la composition des cadres et évidemment le scénario. Il y a un effet centrifuge quand on regarde le film, dès le début on prend les personnages sur le vif en débarquant dans leur voiture. Ils n’ont pas une introduction classique, ils vivaient déjà avant le film tout comme certains personnages vivront vraisemblablement après.

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire un film « apocalyptique » aussi réaliste et terre à terre ? Bien loin des canons d’Hollywood.

Il y avait deux raisons principales. La première était l’urgence de faire un film très rapidement. Pour cela, il fallait que je trouve un sujet qui permette de faire quelque chose de très intimiste tout en faisant fonctionner une échelle spectaculaire par ailleurs. C’est-à-dire de parvenir à créer de la tragédie sur un cercle très restreint, il fallait que je trouve quelque chose qui soit énorme et qui puisse correspondre à cet invisible. En finalité, il ne se passe rien avant le flash, c’est simplement l’attente qui devient un moteur de suspense et d’angoisse. L’approche de la fin du monde est un moteur très intéressant sur les personnages qu’on choisit car cela révèle absolument toutes leurs angoisses, les oblige à faire un point sur leur vie, à formuler leurs attentes, leurs désirs. C’est leur propre tragédie qui se révèle au sein d’une tragédie globale, les renvoyant à leur propre absence d’enjeux et d’horizons existentiels dans la vie. L’idée de faire fonctionner ces deux échelles ensembles me semblaient intéressantes. Dès le départ ce sont des mecs qui n’ont pas d’avenir, sont paumés, ont peu d’espoirs ou de projets et subitement le monde non plus n’a plus de projet (rire). Et la deuxième raison, c’est simplement l’envie de prendre le contre-pied justement de tous ces films de plus en plus gigantissimes et spectaculaires que l’on a au cinéma. Se demander si réellement le quidam aurait envie de rejoindre la seule arche qui part à l’autre bout du monde. Est-ce que la plupart des gens n’auraient pas simplement une sorte de paralysie face à un destin aussi immuable ? Durant mes études, un prof de philo m’avait dit : « Si la fin du monde arrive, le sage continuerait simplement de faire ce qu’il est en train de faire. » Parce que s’il a besoin de la fin du monde pour changer de comportement c’est qu’il n’est pas à sa place dès le début. Au-delà de ça, j’ai beaucoup de sympathie pour ce type de personnages car c’est la société qui les rend paumés. Alors que vivre sans avoir forcément d’objectifs, le simple fait de vivre à travers l’amitié, l’errance ou la contemplation, selon moi, est un sens complètement légitime à la vie. La fin du monde résonne juste comme un super-évènement dramatique pour révéler tout cela.

C’est vrai que c’est assez contradictoire en y repensant. La plupart des films apocalyptiques veulent une morale un peu positive mais on oublie rapidement qu’il y a souvent 99% de la population mondiale qui a été décimée et qu’on a suivi une seule personne des 1% restants. Et à contrario c’est assez osé de se placer du côté des personnages qui acceptent leur mort certaine de manière totalement humaine.

Il y a un film qui se rapproche un peu de ce à quoi j’imaginais, c’est 4h44, dernier jour sur Terre de Abel Ferrara avec Willem Dafoe. Le film est d’une économie remarquable mais une séquence m’avait particulièrement marqué, lorsque les protagonistes sont sur le rooftop de leur studio en plein Manhattan et regardent juste les gens déambuler alors qu’ils savent la fin du monde imminente. En plus du montage ingénieux, la scène m’a semblé très réaliste. Aujourd’hui, on parle de réchauffement climatique, de modifier profondément nos modes de vie mais au final, tout est strictement inchangé.

Après avoir vu votre film, je vous ai fait part de ma volonté de le revoir pour mieux comprendre certaines subtilités. Notamment la part d’action et de péripéties. Au premier visionnage j’avais le sentiment qu’il ne se passait pas grand-chose et que le film était bien plus contemplatif que scénaristique. A la deuxième lecture je me suis rendu compte au contraire qu’il se passait énormément de chose dans votre court-métrage.

C’est ce que je vous disais au début, le côté centrifuge du film. L’envie de faire comprendre que le monde est plus vaste que ce que le cadre renferme. Chaque péripétie ou rencontre est une possibilité d’un film d’action ou d’horreur qui n’arrive jamais, où chaque action est prématurément avortée, constamment suggérée.

Contrairement à ce que pourrait suggérer le titre, nous ne sommes pas sur Tatooïne, alors pourquoi « Les Derniers Soleil » ?

Je vous laisse le découvrir avec le petit indice à la fin du générique. Mais c’est clairement orienté vers les personnages. Bien que la société puisse voir en eux deux losers, des personnages « qui ne sont rien » comme dirait certains politiques, selon moi c’est tout l’inverse. Ils sont quelque chose et je les trouve solaire car malgré la fatalité de leur situation, ils restent sensibles, ils continuent à s’écouter et se soutenir. J’aimais bien l’idée que la dernière image d’eux soit un visage calme, serein, qu’ils ne pourraient en aucun cas s’en prendre à quelqu’un d’autre. C’est également une qualité que l’on met finalement peu en avant. Au cinéma l’héroïsme se traduit le plus souvent par des valeurs guerrières, une volonté de survie sans pareille. Ici c’est plus l’empathie, l’humanité qui est mis en avant, quitte à sacrifier l’effet spectaculaire, virile ou dramaturgique sur le récit. La seconde raison est toute simple, c’est purement chronologique et visuel. D’abord le soleil se lève, puis se couche, puis se lève et enfin se couche une dernière fois. Ce sont les dernières fois où l’on voit le soleil. J’ai essayé de faire en sorte qu’il soit omniprésent visuellement sans pour autant être invasif à l’image.

C’est vrai que l’amitié est une des valeurs les plus fondamentale au monde et je doute qu’elle fasse l’unanimité dans un tel cas de figure. Je voulais enchaîner sur l’ambiance visuelle du film qui, malgré se dérouler très récemment (on entend une personne à la télé dire 2017), semble avoir des points d’ancrage plus désuets. La voiture date des années 90’, différentes décorations font vieilles, la ville à l’architecture plutôt ancienne ou même des termes comme « radiophonique » qui sont utilisés. C’était une volonté d’ancrer l’histoire dans une ambiance fin 90’ début 2000 ?

Alors il y a plusieurs choses. La date que l’on entend à la télé, 2017, se réfère à l’astéroïde Oumuamua. Donc je suis parti de cette vraie info pour dérouler mon histoire en partant du principe qu’on observerait de nouveaux astéroïdes. Pour ce qui est de la voiture et de la maison, il y a deux versions. Celle du réalisateur qui maîtrise parfaitement son univers et pense à tout, et celle du budget (rires). En réalité c’est un peu des deux. L’esthétique du film est indissociable du budget. Quand j’ai écrit le film, je voulais tourner vite et je n’allais pas attendre des financements quelconques. Pour cela, il valait mieux tourner chez moi, en Corrèze, dans des lieux que je connaissais bien et utiliser des décors pour lesquels je n’aurais pas eu de difficultés particulières pour y avoir accès. Comme il fallait aussi qu’il y ait du sens avec l’histoire, je trouvais que ça renforçais de manière assez visuelle la marginalité des personnages.

Vous prenez un peu d’avance sur ma question suivante. Y a-t-il une base scientifique dans votre histoire ou est-ce une totale fiction ?

Un peu de vraisemblance, je trouvais ça bénéfique pour l’histoire, pour tout le reste je pense que c’est totalement invraisemblable. D’ailleurs c’est un problème car j’ai le sentiment que c’est à ce moment qu’on casse un petit peu la suspension d’incrédulité du spectateur. Mais c’est surtout le travail sur les personnages qui m’intéresse, un peu moins la crédibilité scientifique des évènements.

Quelles ont été les vraies restrictions budgétaires qui vous ont posé problème ?

Je n’ai pas eu tant de restrictions que ça puisque j’ai vraiment pensé le film à partir de son budget. Tout vient de sa structure de départ : à savoir une toute petite équipe de 5 personnes et 2 acteurs. On pouvait tourner plus de plans, on avait un appareil photo numérique qu’on a travaillé pour avoir une image de cinéma. On a pu partir avec du matériel léger et peu coûteux. J’ai réussi à me procurer des accroches voitures pour pouvoir faire des plans embarqués à même la carrosserie. Comme je savais que je n’aurais pas de machino, il fallait que, s’il y ait un travelling, il soit justifié par le mouvement du personnage. Le découpage technique du film était très dogmatique car on ne faisait aucun mouvement superflu. C’était très important pour la grammaire du film et ça renforçait la sensation d’avoir le troisième copain. Au final je n’étais pas frustré étant donné que je savais quel budget je m’étais donné. En revanche c’est surtout au montage qu’on s’est rendu compte qu’il nous manquait des plans et c’était plus embêtant. Cela m’a obligé à retourner en Corrèze pour ajouter quelques prises. Mais au final une grosse partie du travail s’est joué en post-production.

Enfin en conclusion je souhaiterais que vous nous parliez un peu de ces deux acteurs qui sont finalement le centre de l’attention de cette production.

Dans cette recherche de naturel et de normalité j’ai justement cherché à prendre des gens dont ce n’était pas le métier, donc ce ne sont pas des comédiens à la base. Ça me semblait important d’aller filmer des amateurs et de créer un jeu avec eux. Ils n’ont pas les attitudes et les tics des comédiens professionnels ce qui peut désarçonner au premier abord lorsqu’on est habitué à un certain standard de jeu à la française. Il y a une large part de leur personnalité dans les rôles et j’ai voulu leur laisser la liberté de créer, justement pour ne pas tomber dans le piège du personnage trop écrit. Mais dans le même temps on a conceptualisé ces personnages tous ensemble. C’était un véritable exercice de réussir à trouver du naturel avec eux, de leur faire oublier la caméra ni qu’ils ne soient intimidé par la configuration de tournage.

Je pense qu’on a terminé, si vous avez un dernier mot à rajouter ?

Je vais dire un petit mot de conclusion sur les compositeurs dans ce cas. Pour l’anecdote j’avais fait un entretien avec la Maison du film court où j’avais parlé d’absolument tout sauf de leur travaille, donc je vais essayé de me rattraper ici. Les musiques sont composées et interprétées par Anthony d’Amario et Édouard Rigaudière et je suis totalement satisfait de leur performance. J’étais constamment très agréablement surpris par leur qualité inventive. L’un travaille beaucoup sur les textures sonores, les sons électroniques et l’autre est très fort en tant que mélodiste, notamment au piano, et parvient à dégager des thèmes en quelques secondes, c’est prodigieux. Ils ont d’ailleurs travaillés en tant que co-compositeurs sur le film Ghostland de Pascal Laugier.

Merci énormément pour le temps que vous m’avez consacré et je vous souhaite le meilleur pour la suite de votre court métrage.

Propos recueillis à Paris le vendredi 07 janvier 2022 à l’hôtel Terminus Nord.
Un grand merci à Arthur Mercier pour s’être prêté au jeu de cet entretien.

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