Bad Genius : Tromperie orchestrale

Cette (presque) fin d’année scolaire se clôt actuellement par nombre d’examens et de dossiers de tous types pour les lycéens ainsi que pour les étudiants. Période stressante, somme toute. Pourtant, il y a bien une chose qui ne changera pas, une chose sur laquelle l’on peut compter lors de telles périodes pour se détendre : le cinéma. Alors, que dites-vous de prendre une petite pause pour visionner Bad Genius, long métrage thaïlandais disponible sur FilmoTV depuis le 4 mai ? 

Bad Genius est un long métrage qui a cartonné dans son pays d’origine à sa sortie, en 2017. Film réalisé par Nattawut Poonpiriya, cette comédie policière a été nommée deux fois aux Asian Film Awards, et s’avère être à l’origine d’une adaptation de série. Mais de quoi parle ce fameux film thaïlandais ? Fin du suspense, pour une œuvre qui n’en manque pas. Comme dans de nombreux pays asiatiques, Bad Genius met en avant certaines problématiques propres aux pays asiatiques, dont les inégalités et l’excellence. Seulement, l’œuvre se déroule ici dans une école de choix qu’intègre Lynn, petit génie des mathématiques, jeune adolescente boursière et pleine d’ambition. Lynn se fait deux amis, bien plus riches qu’elle mais aussi moins aptes à réussir les examens. Victime de son intelligence, la voilà réclamée par les autres étudiants pour les former à la tricherie, en échange de rémunération. Le dilemme ne durera pas, surtout quand l’excellence ne suffit plus.

Quand l’intelligence d’une seule personne est au service de tous, mais de manière plutôt immorale et déloyale. Bad Genius est selon nous un coup de maître, et ce pour plusieurs raisons. Le film n’est pas manichéen, et dieu sait qu’il aurait pu l’être au vu du synopsis, mais nous reviendrons bien assez rapidement sur ce point. Ce qui nous plait et nous captive, c’est certainement le choix du sujet : la vie de lycéens, mais plus précisément la période angoissante et ingérable qu’est celle des examens, peu souvent illustrée dans les films, ou de manière peu réaliste et avantageuse pour les adolescents. Les scènes de ces moments peu agréables et de triche deviennent des prétextes à transformer ces séquences en scènes de films d’action, films policiers : chaque mouvement de crayon de papier, de regard en coin ou de souffle est accompagné par le tempo d’une musique digne d’une scène dans laquelle une bombe menacerait d’exploser. L’un des mots clefs serait certainement la musicalité. Lynn fait d’ailleurs des mélodies et touches de piano des moyens mnémotechniques pour mémoriser les réponses. La triche devient une œuvre musicale qui se joue sur le bout des doigts pour elle et ses disciples (tricheurs), tous en harmonie.

L’agréable propre à ce film tient aussi aux quelques procédés cinématographiques et références non sans saveurs. On se plait à voir Pat en nouveau Steeve Jobs, affublé d’un col roulé, présentant le plan de tricherie sur grand écran dans un séminaire organisé dans le plus grand des secrets. Les petites scènes qui exposent les personnages au commissariat utilisent évidemment le procédé qui est celui de comprendre dès le début de l’œuvre que le plan a magistralement échoué, que le personnage principal est jugé. Si l’on s’en réfère à des œuvres françaises récentes (et oui, il y a toujours une occasion de faire de la pub au cinéma français ), il y a Été 85 de François Ozon qui, dès le début du film, expose le personnage principal, arrêté pour meurtre. Il y a notamment le procès montré en parallèle des actions passées dans Mascarade, de Nicolas Bedos. Ce procédé est d’autant plus savoureux qu’il s’avère être lui aussi une supercherie : les quatre adolescents répètent leurs réponses en cas d’arrestation. Tout est comédie, bien que l’enjeu soit de taille. Sur un autre registre (et pays), l’œuvre de Nattawut Poonpiriya rappelle par l’idée d’étudiants de créer une organisation qui rapporte de l’argent certains dramas coréens qui sortent des sentiers battus, tel que l’excellent Extracurricular. Pour les amateurs de ces séries, vous vous souviendrez de ce jeune étudiant coréen qui réussit à payer ses études de manière, disons, peu conventionnelle : il gère de manière anonyme un réseau de prostitution.

Bien que Bad Genius ait d’abord des allures de film pour adolescents, l’œuvre thaïlandaise met en avant de manière subtile un des sujets propres aux sociétés asiatiques : les inégalités. Si Lynn est intelligente et mérite sa place dans une prestigieuse école, elle n’en reste pas moins aisée que ses amis, et doit trouver de l’argent pour payer ses études, tout comme l’autre étudiant boursier, Tanaphon. A l’image de Parasite (les pauvres se battent entre eux pour être appréciés des plus aisés), les deux étudiants sont constamment en opposition pour la première place, pour accéder à une bourse pour étudier à l’étranger, tandis que les riches payent leurs écoles. Au bord du gouffre, les plus démunis doivent miser sur la malhonnêteté pour s’enrichir financièrement, et les plus riches sur l’immoralité pour s’enrichir intellectuellement. Bien que le personnage de Tanaphon puisse être totalement horripilant durant la première partie (chose due à sa manie de courir particulièrement vite chez la directrice pour dénoncer n’importe quel étudiant), son passage à tabac gratuit bien que payé par Pat pour saboter ses plans s’avère être une juste remise en place des principes moraux pour les spectateurs. Seuls les intérêts des plus riches comptent, en témoigne l’éveil de Tanaphon dans la décharge, blessé et maculé de sang.

Les quelques petits bémols résident certainement dans des choix pris au montage, toujours bien choisis, mais qui, poussés à l’extrême, étouffent rapidement les spectateurs. Bien que les musiques aient une fonction plus qu’importante, elles sont parfois trop présentes. Il en est de même pour les trop nombreux mouvements de caméra, qui peuvent donner aussi mal au cerveau qu’un exercice de maths sur lequel les personnages se creusent la tête. Les rares plans subjectifs sont peu agréables, au contraire d’aussi rares plans contemplatifs. Ils mettent en avant l’intelligence de Lynn, se trouvant dans des salles baignées de soleil.

Pourtant, Bad Genius rappelle à nouveau à quel point la réussite n’est pas seulement basée sur la méritocratie. Les plans des personnages fonctionnent grâce à l’argent, rouage de la grande machine qu’est celle du monde capitaliste. Si on se perd à être empathiques envers les étudiants désespérés, victime de la pression scolaire propre aux pays asiatiques, on se rappelle vite que la somme qu’empoche Lynn vient de leurs poches à eux, finalement fortunés. Ce film propose donc un divertissement de haut niveau, mais aussi des supercheries magistralement pensées qui feront plaisir à plus d’un spectateur.

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