Ramona fait son cinéma : Romance en noir et blanc

Nous avons tous déjà apprécié une bonne comédie romantique en dégustant un pot de glace après une rupture amoureuse. C’est peut-être précisément dans ce but que les comédies romantiques ont été inventées, quoique rien ne prouve cette hypothèse. Certaines sont restées mythiques comme celles avec Hugh Grant ou Julia Roberts au casting (Coup de foudre à Nothing Hill ; Pretty Woman ; Love Actually) et d’autres sont même entrées dans l’Histoire du Cinéma (New-York Miami de Frank Capra ; La Garçonnière de Billy Wilder). C’est exactement dans cet héritage que s’inscrit le tout premier film de la réalisatrice espagnole Andrea Bagney : Ramona fait son cinéma (en salles le 17 mai).

Ramona (Lourdes Hernández) est une trentenaire en couple depuis ses 17 ans avec son petit ami Nico (Francesco Carril). Après avoir vécu quelques années à Londres, le couple retourne vivre dans son Espagne natale. Ramona a pour projet de devenir actrice. La veille d’un casting important, elle fait la rencontre de Bruno (Bruno Lastra), un homme plus âgé qui tombe immédiatement amoureux d’elle. Malheureusement, Bruno s’avère être aussi le réalisateur du film pour lequel Ramona s’apprête à passer un casting. Le point de départ de cette comédie romantique fait écho aux intrigues classiques de ce genre de récit, que l’on trouve au cinéma ou au théâtre. La dynamique du triangle amoureux est quelque chose d’inhérent à la romance, puisqu’elle implique que le personnage central (ici Ramona) fasse un choix entre son amour d’enfance et la promesse aventureuse incarnée par un autre. La raison ou le cœur : là réside tout le dilemme qui va bouleverser le personnage de la jeune femme durant le film. La réalisatrice Andrea Bagney raconte qu’elle devait écrire un personnage partageant à la fois certains traits avec sa propre personnalité tout en en restant assez éloigné pour avoir son existence à part entière. Elle s’attache donc à raconter des événements qu’elle aurait elle-même pu vivre et à imaginer ses réactions et ses choix face à de telles questions.

Andrea Bagney assume complètement ses influences classiques hollywoodiennes de Billy Wilder à Lubitsch mais aussi ses coups de cœur filmiques plus contemporains comme Woody Allen ou Frances Ha réalisé par Noah Baumbach en 2012. La réalisatrice réemploie ce qu’elle a intégré en tant que spectatrice pour proposer une photographie sublime en Noir et Blanc tournée en pellicule. Filmé durant la pandémie de COVID-19, la toute première séquence du film nous dévoile un Madrid silencieux, avec des rues entièrement vides mais portant néanmoins la volonté de classicisme de la réalisatrice, expliquant elle-même qu’elle ne souhaitait pas faire de Ramona une femme « petite et indé, mais grande et classique ». Cette volonté artistique alliant l’exercice de l’hommage et le renouvellement du Noir et Blanc est réussie, affichant une beauté plastique confirmant que la pellicule possède encore son intérêt esthétique et n’est pas complètement dépassée par le numérique ou l’image de synthèse.

Malgré toutes ces nobles intentions artistiques, Ramona fait son cinéma peine à dépasser ses propres influences. Même s’il n’est pas banal de voir ce genre de proposition dans le cinéma Espagnol, l’intrigue et les dialogues restent finalement assez académiques, reprenant à la lettre toutes les conventions de la romance. La performance de l’actrice Lourdes Hernández, dont c’est le premier film (l’actrice étant avant tout compositrice et interprète) demeure honnête et convaincante, ne risquant jamais le surjeu ou le stéréotype pourtant assez facile à emprunter. De même pour l’interprète de Nico, Francesco Carril, qui campe un petit ami loyal sans être pathétique, et qui va subtilement remettre en question la notion de masculinité tout au long du film, en restant un personnage ouvert et progressiste. Le personnage de Bruno, l’outsider, la troisième branche du triangle, est cependant un petit peu plus éloigné de la rigueur actorale déployée par ses partenaires. Son personnage tombe un peu trop dans le stéréotype de l’artiste d’un certain âge, « indé » et antisystème, qui fait chavirer le cœur de la jeune trentenaire par ses beaux discours passionnés sur l’amour absolu. N’oublions pas que la réalisatrice (étant dans une logique d’hommage à ses références et donc d’exercice de style) coche ici toutes les cases de la comédie romantique, ce qui ravira les fans du genre.

Andrea Bagney convainc suffisamment par son personnage de Ramona et son choix plastique du Noir et Blanc et des portraits pour attiser notre curiosité et nous donner envie de suivre ses prochaines réalisations. Un premier film étant ce qu’il est, il n’est pas non plus dénué d’un certain nombre de fragilités, notamment le piège des références et de l’hommage, qui parfois prend le pas sur l’expression purement personnelle de l’auteure. Ajoutons aussi qu’il a été réalisé en pleine pandémie, un obstacle de plus au processus de création. Néanmoins, elle affirme déjà une certaine maturité artistique avec des choix tranchés et sans compromis qui seront de véritables atouts à faire valoir dans la suite de sa carrière. Quoi qu’il en soit, il n’est pas trop tôt pour dire qu’Andrea Bagney est sur la voie d’une filmographie « grande et classique ».

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