Le coup de l’escalier : « I know I got rid of the headache. Now I got cancer »

Nous ne saluerons jamais assez l’éclectisme et la pertinence des choix du catalogue de Rimini Editions qui ne cesse de nous gâter à longueur d’année, la preuve avec cette nouvelle sortie vidéo dans une édition combo Blu-ray + DVD + Livret d’un classique du film noir disponible depuis le 20 septembre dernier : Le coup de l’escalier, réalisé par Robert Wise en 1959.

Derrière ce titre français dont on cherche encore à saisir le sens (le titre original Odds against tomorrow est bien plus approprié) se cache l’une des grandes réussites de son réalisateur, le prolifique Robert Wise dont la carrière riche et variée reste à redécouvrir, le cinéaste ayant quasiment abordé tous les genres mais qui, à l’instar d’un Richard Fleischer, a mis beaucoup de temps avant d’être reconnu à sa juste valeur, et encore aujourd’hui Fleischer a une œuvre plus reconnue. La filmographie de Wise est pourtant exemplaire, à quelques exceptions près (chose inévitable quand on a une quarantaine de films à son actif) et on ne saurait que trop vous conseiller de vous y pencher et il ne fait nul doute que son expérience de monteur avant le passage à la réalisation, lui a énormément servi puisqu’il y a rarement un plan de trop, quelque soit la séquence proposée par le cinéaste.

Le coup de l’escalier ne fait pas exception et demeure l’un de ses tours de force. Le film nous conte l’histoire de trois pauvres types se lançant dans un braquage. Il y a Burke, le flic limogé ; Earle Slater, l’ex-prisonnier vieillissant, violent et raciste et Johnny Ingram, chanteur couvert de dettes. Trois personnages que tout oppose (en particulier Earle et Johnny, ce dernier étant noir) et que différentes raisons vont pousser à commettre ce braquage dont on sait déjà, à peine l’idée étant énoncée, qu’il ne pourra que mal finir. C’est en effet un monde gris et sans merci que Robert Wise dépeint dans le film. Un monde ayant relégué ses personnages à l’arrière-plan, tous ayant une revanche à prendre sur la vie, une revanche en forme de dernier coup désespéré. Earle en est bien conscient, lui qui se sent vieillir et qui veut enfin accomplir quelque chose de sa vie tandis que Johnny rechigne à accepter de rejoindre la bande, bien conscient que malgré ses dettes étouffantes, tout ceci n’est qu’une très mauvaise idée…

Il paraît que Jean-Pierre Melville adorait le film et le projetait régulièrement à ses collaborateurs. Ce n’est guère étonnant quand on le voit tant Melville en personne aurait pu le réaliser, le film portant en lui toutes les thématiques qui fascinaient le cinéaste. Plus film noir que film de braquage (qui débute dix minutes avant la fin du récit), Le coup de l’escalier s’intéresse avant tout à la psychologie de ses personnages plutôt qu’au casse en lui-même, des personnages qui d’ailleurs scellent leur propre destin en voulant le changer, se débattant pour s’en sortir dans un monde où ils sont condamnés d’avance. Dès le début du récit, la mise en scène de Wise annonce la couleur : le noir et blanc et l’agencement des plans écrasent les personnages dans les décors avec un ciel hivernal lourd et l’on s’attarde sur des détails ne laissant aucun doute sur le dénouement du scénario comme cette poupée abandonnée et usée flottant dans l’eau. Pour donner au film une ambiance particulière, Wise ira même jusqu’à utiliser pour certains plans une pellicule infra-rouge nécessitant un éclairage spécifique, donnant aux visages des personnages un aspect légèrement distordu quand le ciel en devient presque noir avec ses nuages très blancs.

Comme tous les grands films noirs, Le coup de l’escalier est une mécanique de précision impitoyable et tout semble parfaitement agencé, du scénario à la mise en scène. Un scénario audacieux où les personnages sont les produits de leur environnement (puisque tout est morne, grisâtre et sans espoir, ils le sont aussi) mais qui n’excuse pourtant pas leur comportement. Si on peut les comprendre dans leur désespoir presque enragé de s’en sortir, ce sont les personnages eux-mêmes qui construisent les barreaux de leur propre prison à l’image de Earle, trop fier pour laisser sa compagne l’aider ou de Johnny, multipliant les paris malgré des dettes déjà pesantes. Et s’ils sont conscients que ce casse représente une dernière chance foireuse, ce sont eux-mêmes qui en précipitent le dénouement notamment parce que Earle affiche ouvertement son racisme face à Johnny et refuse de lui faire confiance quand bien même ils sont embarqués dans la même galère. Se refusant d’ailleurs à toute sensiblerie, Wise orchestre un final tout en ironie et assume le caractère peu sympathique de ses personnages. Harry Belafonte, qui produit le film, y trouve d’ailleurs le meilleur rôle de sa carrière d’acteur tandis que Robert Ryan (qui n’était jamais aussi bon que dans le film noir) embrasse le personnage de Earle et de tous ses défauts avec une implication totale, le rendant autant détestable que curieusement presque attachant quand il expose ses faiblesses le temps d’une séquence.

Trois personnages usés par la vie, un braquage de la dernière chance, une atmosphère de film noir… Le coup de l’escalier a beau jouer avec des codes déjà connus, il s’en empare avec un talent vivace et comporte une atmosphère singulière, de celle où l’on sent dès le début que le destin ne sera pas favorable à nos héros. Reste à savoir comment tout cela va s’orchestrer et autant vous dire que Robert Wise mène cette marche funeste avec panache, transformant son film en chef-d’œuvre à redécouvrir, surtout en haute définition !

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