Une Comédie Romantique : Rencontre avec Thibault Segouin

Alex Lutz, Montmartre, Christian Clavier et des burgers… nous avons rencontré Thibault Segouin à l’occasion de la présentation de son premier film en tant que réalisateur lors de la 8e édition du Festival du Cinéma et Musique de La baule en juin 2022. Le néo-réalisateur est aguerri par un parcours de dix années dans le théâtre et l’écriture aux côtés d’Alex Lutz. L’acteur est devenu un ami proche, tête d’affiche d’Une Comédie Romantique revigorante et bienfaisante avec le soutien de la lumineuse et magnifique Golshifteh Farahani. Rencontre.

Avant la production et la mise en scène de votre premier film Une Comédie Romantique, vous avez un parcours singulier et fourni, notamment en tant que comédien.

Thibault Segouin : Oui j’ai fait une école de théâtre à l’âge de 18 ans comme on fait une école de commerce. Je ne savais pas trop quoi faire de ma vie, je savais juste dans quel secteur je voulais être, à savoir l’audiovisuel, le théâtre… J’ai grandi en province et je ne savais pas trop comment prendre les choses. Je me suis inscrit au cours Florent sur un coup de tête pour voir où cela allait m’amener. Cela a pris un peu de temps pour prendre le pouls et comprendre le milieu. Donc je me suis retrouvé un peu comédien, un peu metteur en scène.

Comment vous arrivez dans votre parcours à rencontrer Alex Lutz, scénariser avec lui son premier long métrage Guy puis votre court métrage et ensuite Une Comédie Romantique ?

J’ai fait une école de théâtre puis en sortant j’ai fait plein de boulots dans l’univers du théâtre. J’étais ouvreur, guichetier, j’ai travaillé en technique dans des théâtres pour en comprendre les mécaniques, en saisir l’univers, l’ambiance. Il se trouve que j’ai vendu des billets de spectacle d’Alex Lutz quand j’avais 21 ans. Puis je suis devenu son administrateur de tournée, on a fait 450 dates ensemble à peu près, un rôle proche de l’artiste, soit on s’adore soit on se déteste et cela s’arrête. Mais heureusement nous sommes devenus amis, c’était avant Catherine et Liliane, donc avant que sa popularité ne décolle. J’ai donc vu la carrière d’Alex grandir et il est devenu mon grand-frère du métier. Il m’a fait écrire sur Catherine et Liliane, puis on a eu l’idée d’un vieil humoriste en tournée, mais Alex a eu l’idée que ce soit un chanteur, c’est donc devenu Guy. On l’a écrit avec Anaïs qui est devenue ma femme, documentariste passionnée à ce moment-là. Il n’y avait donc aucun plan de carrière, aucune vocation, tout s’est enchainé comme ça. C’est en comprenant le métier que j’ai saisi ce que je voulais faire. Je suis content, j’ai 32 ans et je sais enfin ce que je veux faire de ma vie (rires).

Alors ce premier film, d’où vient cette idée de Comédie Romantique ?

C’est un genre que j’adore au cinéma. Si je ne sais pas quoi regarder, je regarde une comédie romantique tout en mangeant un truc bon. Mais j’aime vraiment les comédies romantiques, même les mauvaises je les aime, car je leur trouve toujours des qualités. Il y a toujours quelque chose à en tirer, une idée de mise en scène une séquence émouvante un détail marrant à un moment inattendu. Je trouve en plus qu’il n’y en a pas tant que cela en France. Puis j’avais cette idée de faire un film sur le quartier de Montmartre. Quand je suis arrivé sur Paris, j’ai tout de suite habité à Montmartre qui est un quartier que j’aime. Je voulais lui faire ma déclaration d’amour avec mon premier film. Je voulais faire un film avec des petits rôles pour plein de comédiens. Un film riche de cartes postales pour montrer comment est le quartier de Montmartre. D’un coin de rue à un autre, c’est totalement différent, donc je souhaitais le souligner. Puis il y a le personnage de César qui est la combinaison de plein de personnalités rencontrées à Montmartre. C’est un endroit où le mot « Artiste » signifie toujours quelque chose. On ne parle pas de réussite ni de notoriété. On peut bien être artiste de rue à Montmartre, il y a des gens qui sont artistes de cabaret depuis toujours. Je trouve cela super attachant, donc je voulais faire un personnage comme ça. Et puis j’ai choisi d’en faire un chanteur, car actuellement on y empêche les artistes de se produire alors que c’est traditionnel dans le quartier. La police les empêche de jouer, car les riverains se plaignent. Dans une scène dans le film, César est accompagné dans une projection par des musiciens qui sont de véritables artistes de rue qui s’appellent Les Oiseaux de Montmartre qui se battent pour continuer à se produire dans la rue. J’avais donc envie de faire une carte postale du quartier.

Pourtant ces chanteurs de rue, peintres et artistes font la richesse de Montmartre. Le quartier change et se gentrifie à l’image de Paris.

Exactement il se gentrifie à l’image de toutes les grandes villes de France. Beaucoup achètent des appartements pour spéculer. Ils viennent de loin, souvent de l’étranger. Ils ne connaissent pas le quartier, mais l’âme reste présente. Quand une charcuterie traditionnelle ferme, c’est une boutique de Kooples qui ouvre. Les vieux ressassent le passé et rechignent en voyant les modifications. Mais le quartier reste toujours aussi agréable et joli. Mais j’avais envie de figer cette image d’Épinal du quartier, de montrer ce qui m’avait séduit dans Montmartre. 

Dans votre film, nous ne sommes pas à Paris, mais à Montmartre, personnage à part entière de l’histoire. Et justement dans le final quand on traverse Paris, on se souvient que nous sommes à Paris. 

Totalement, Montmartre est l’un des personnages principaux du film. C’était important pour moi. J’ai essayé de ne pas mettre trop de plans larges avant ce moment final. J’avais envie de traiter le quartier comme par exemple Woody Allen traite Manhattan. Genre Focus-Zoom sur le quartier puis après donner de l’air en rappelant que c’est un quartier de Paris où il y a la Tour Eiffel et compagnie. Mais j’avais vraiment envie que l’on se plonge dans le quartier comme moi je l’aime. 

Il y a cette sensation de plongée dans votre film. Dès le début, nous sommes ailleurs, il y a un tour de magie qui se produit et nous évade de la salle de cinéma.

Je ne m’en rends plus compte après avoir vu tant de fois le film. Mais tant mieux, je suis content que cela fonctionne parce que c’était un souhait de ma part de vraiment faire plonger les spectateurs dans cet univers-là, qu’ils oublient la salle de cinéma et l’extérieur derrière la porte. 

Il y a un détail qui m’a fait beaucoup rire à la découverte du film : vous regardez des comédies romantiques quand vous ne savez pas quoi regarder. Et le couple du frère de César regarde eux des comédies de Christian Clavier avec des Burgers. Vous êtes le premier à citer ouvertement les grosses comédies des années 1990 que beaucoup aimerait oublier et que personnellement j’adore comme Les Anges Gardiens.

(Rires) Parce que j’adore Les Anges Gardiens aussi tout autant que Les Visiteurs et Woody Allen (rires). Ce sont des films de mon enfance et Les Anges Gardiens est le film que l’on a le plus vu avec mon frère. On regardait le film le dimanche en se fendant la poire. C’est une madeleine de Proust donc je trouvais marrant que le couple se retrouve le soir à regarder une bonne comédie avec un bon repas comme moi et mes comédies romantiques (rires). Ma femme n’est pas aussi fan de Christian Clavier, mais je peux très bien m’organiser une soirée Clavier/Burger chez moi avec Les Visiteurs juste pour me faire du bien, passer un bon moment. 

Votre film s’appelle Une Comédie Romantique, mais on arrive après la comédie romantique. 

J’avais envie de jouer avec le code. Ils se connaissent, se sont aimés et ont déjà échoué avec leur couple, mais ils réessayent. Je n’allais pas l’appeler « Ma Comédie Romantique » (rires). Je voulais surprendre le spectateur qui attend de rire, mais finalement va souffrir et pleurer un peu. Ce n’est pas tout rose bonbon, César va bien ramer. Le but est de troubler un peu.

Vous jouez toujours avec ses codes. 

Oui, car ces détails ne sont pas très importants sans en dévoiler trop. Ce qui compte est que ce sont des gens qui font les choses sincèrement pour les bonnes raisons, qui s’aiment, mais qui font en sorte que cela fonctionne, quand par exemple le frère et sa femme sont plus des gens qui cochent des cases du cahier des charges de la vie  : une bonne situation, un bel appartement, un enfant… Ils essayent de faire comment on leur a dit de faire et ils ont du mal à s’en sortir. Je voulais montrer que cela vaut le coup de se battre et essayer de casser les codes tout en faisant que cela aille convenablement. La famille est ceux que l’on veut et qui l’on veut. 

Plus qu’une romance, Une Comédie Romantique est un film sur la famille ?

Exactement c’est plus un film sur la famille qu’une romance. L’histoire d’amour est déjà consommée, il y a le père, le frère et sa femme, leur relation et leurs liens sont forts quand même. C’est un film sur l’amour et la famille.

Puis il y a la séquence chez France Miniature avec la glacière bleue et blanche, le voyage en vieil Espace, le pique-nique. C’est authentique. Puis pour moi la séquence d’anniversaire est le cœur du film où le père ronchonne puis s’endort. L’instant est convivial. On l’a tous vécu.

J’aime bien les séquences de repas de famille dans les films et j’avais envie d’en faire une qui me ressemble. Je la voulais déconstruite à la cool dans le salon sur le canapé. On peut garder son manteau, manger ou pas avec le fameux gâteau au yaourt, classique des familles. 

C’est un film touchant, car tout le monde peut s’y retrouver. Comment s’est déroulé le travail avec les comédiens ?

Grâce au théâtre j’ai vu beaucoup de comédiens jouer ces dernières années. J’ai pas mal de comédiens dans mon entourage puis j’ai vu Alex jouer plus de 450 fois. Je n’ai pas peur des comédiens, j’aime partager avec eux, écrire un texte et chercher avec eux pour le retranscrire au mieux. Cela s’est fait spontanément avec chacun d’entre eux. J’ai forcément une relation privilégiée avec Alex. Je n’ai pas besoin de lui dire grand-chose, on se comprend très bien. Puis à ses côtés, il y a Golshifteh Farahani… C’est Golshifteh Farahani, une impératrice (rires). Sa lecture du texte était super, sa lecture du personnage également, que demander de plus… Pas grand-chose. Tout s’est fait simplement en construisant les personnages ensemble. J’ai écrit le rôle du frère pour Olivier Chantreau qui est un ami depuis dix ans, je connais le tempo du comédien, son jeu. On avait précédemment collaboré pour mon court métrage, donc c’était du sur-mesure, surtout qu’il ne joue jamais dans des comédies. Tout s’est fait simplement. Je pars du principe que l’on cherche ensemble, mais je ne suis pas à la note. Je suis plus fervent à trouver l’esprit de la troupe de théâtre, chacun à son poste, son mot à dire, ses propositions et moi en tant que chef de chantier qui prend ou pas pour améliorer et faire avancer le film. Mais je laisse à tout le monde le soin d’amener de soi dans le projet pour le rendre meilleur possible. 

Le couple principal a été dur/complexe à trouver ?

Bizarrement je ne pensais pas à Alex au moment de l’écriture. Il est tellement proche de moi, que c’était impossible. Concernant Golshifteh, j’en rêvais secrètement. J’ai une histoire avec ma femme et Golshifteh : notre premier rendez-vous était une séance du film Les Deux Amis de Louis Garrel. On était totalement fous d’elle dans le film, une histoire d’amour qui a débuté en même temps que la nôtre. On a vu Paterson quelques mois plus tard, pareil même ressenti ; donc elle est très liée au début de notre histoire d’amour. Il y avait une évidence, ce serait dingue d’avoir Golshifteh dans notre premier film. Par je ne sais quelle opération du Saint-Esprit, ça s’est fait et quelques mois plus tard elle était sur le plateau et on n’y croyait pas. Je n’en reviens même toujours pas (rires). J’ai écrit le personnage de César en pensant à Hugh Grant, son registre de personnage et de comédie romantique. C’est à dire de l’élégance, de la loose toujours rattrapée par de la subtilité, le bon mot, le truc, le côté « on l’aime malgré tout » avec ses yeux de cocker. Puis quand j’ai fini d’écrire, je me suis posé la question à savoir qui est le Hugh Grant français ? C’était Timothée Chalamet le plus proche, mais trop jeune pour le rôle. Puis j’ai tilté en me disant que j’avais Alex pour le rôle qui pouvait aisément jouer le personnage. Il n’est que surprise : il est beau avec un visage classique et des yeux de cocker à la Hugh Grant notamment, une beauté scandinave tout en étant malin. Il joue bien le rôle, j’oublie que c’est lui. Il joue avec beaucoup de simplicité au premier degré. Il n’illustre jamais ce qui est censé être drôle. Il apporte cette subtilité qui donne cette note à la Hugh Grant typique des comédies romantiques à l’anglaise.

Il est ce cliché sans être ce cliché.

Oui il est fort. Alex arrive toujours à trouver son chemin pour les personnages qui font qu’il n’est jamais là où l’on attend dans le rôle. Pourtant je le connais bien et à chaque fois que je le vois, il y a une idée, un pas de côté surprenant. 

Merci Thibault pour votre temps.

Merci à vous.

Entretien réalisé en Juin 2022 lors de la 8e édition du Festival du cinéma et Musique de La baule.
Mes remerciements à Elsa Grandpierre pour la possibilité de cet entretien.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*