The City of Violence : argent et destruction

On en finit pas d’être surpris par le cinéma asiatique sur la plateforme Shadowz. The City of Violence, du réalisateur coréen Ryoo Seung-wan, est sorti en 2006. Le titre est assez parlant, attendez-vous à passer une heure et demi chargée en action, en hémoglobine et en castagnes de tous poings. Pour résumer en tranchant dans le vif : Tae-su, un inspecteur de police peu commode, apprend la triste nouvelle du décès de l’un de ses amis d’enfance. Il se rend aux obsèques et commence alors une présentation des personnages qui constitueront notre groupe de départ. L’histoire s’ensuit alors en jonglant d’un personnage à l’autre, faisant la jonction perpétuelle entre le présent et des scènes de flashback.

Pur produit de sa décennie, la narration se ponctue presque comme des chapitres et suit un cheminement très précis. À la fois visuellement chaotique et complètement excitée, elle est d’une simplicité clairvoyante et pourtant d’une subtilité insoupçonnée. Au travers de ce groupe aux membres à priori indissociables se cache un message fort, d’une réalité encore plus présente aujourd’hui. Le temps détruit tout sur son passage, même ce qui vous semblait solide comme un roc. Sur fond d’enquête vengeresse, The City of Violence est surtout une métaphore de la violence de l’argent. Entre immobilier récent et implantation de casinos le film fait un état des lieux et lance, dès 2006, un cri d’alerte à ce sujet. Aujourd’hui nous savons les jeux d’argent ultra réglementés en Corée du Sud et quinze ans plus tard les provinces sud-coréennes demeurent des surfaces métropolitaines de plus en plus mégalos. L’une des phrases d’un des personnages est criante de vérité lorsqu’elle précise, en voyant des centaines d’hectares en construction, qu’avant « il n’y avait que des plaines ». Si le film est d’une violence – jouissante certes – très maîtrisée, c’est aussi parce qu’il s’agit d’une violence de l’environnement immobilier qui détruit non seulement les paysages mais aussi les habitudes et la nostalgie des protagonistes.

Au travers de cette destruction paysagère se dévoile aussi une destruction sociale dramatique. Ce groupe que tout promettait à un avenir soudé et indéfectible s’ébranle comme un château de cartes au milieu d’un ouragan. Corruption, vengeance, lâcheté : les pires bassesses de l’humanité ressurgissent à la manière de démones prêtes à se repaître de la détresse et du désespoir des hommes. En ce sens la scène d’introduction est d’une efficacité parfaite. Dès les premières secondes, le long métrage donne le ton. Un barman poursuit des adolescents qui ont vraisemblablement « fichu le bazar » dans son établissement. Par un jeu d’ombres et un cadre extrêmement bien pensés, le spectateur est instantanément tenu en haleine avant d’assister à l’assassinat pur et simple du barman en question. La scène est d’une telle virtuosité lorsqu’on se figure qu’elle est un mystère entier, qu’on ne sait même pas si ce qui a tué le barman s’avère être un être humain tel qu’on peut se l’imaginer. Le ton est donné, il est encore temps de faire demi-tour pour les faibles. Voilà ce qui est bien avec le cinéma asiatique : il n’y a pas de fioritures, ils ne font pas dans la dentelle… Dès la scène d’introduction on sait qu’on ne va pas passer une séance calme et reposante. Avec un vrai rythme de montage et une vraie énergie de mise en scène, le réalisateur fait passer un scénario a priori simple pour un véritable drame fratricide. Entre mélange des genres, adaptation des styles et références de toutes sortes The City of Violence a clairement de quoi charmer les amateurs de cinéma coréen : Battle Royale, Kill Bill, Old Boy ou encore Matrix à qui voudrait bien le voir, ou même au cinéma de réalisateurs comme Takeshi Kitano. Entre zooms et ralentis, cuts effrénés et split-screen bruts de décoffrage autant dire que le film est un pur produit de la première décennie du XXIème Siècle, au coeur duquel chaque ingéniosité de montage est une excuse pour une séquence d’action folle. Si les interprètes se sont amusés sur le tournage, ils ont clairement réussi à nous transmettre leur énergie.

Tout amateur de cinéma asiatique que vous êtes a peu de chance d’être foncièrement déçu. Contrairement à ce que le film laisse paraître, il est loin d’être un simple exutoire à la violence. Et quand bien même ce serait le cas, il demeure suffisamment ingénieux pour être déjà une excellente proposition ne nécessitant de creuser plus loin. Mais son drame fraternel est d’une puissance rare, dans la parfaite lignée de nos plus grands auteurs contemporains. Toute la portée sociale et émotionnelle du film sublime totalement sa chorégraphie générale. On ne s’ennuie à aucun moment et The City of Violence nous raconte quelque chose de profond sur la Corée du Sud et sur certains de ses travers, une réussite en 2006, toujours aussi pertinente seize ans plus tard.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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