Decision to leave : Coup de foudre et manipulations

Decision to leave marque le retour de Park Chan-Wook sur le grand écran après l’évènement cannois que fut Mademoiselle en 2016. Ce nouveau film du réalisateur de Lady Vengeance a su créer un certain engouement auprès du jury de cette 75ᵉ édition du festival de Cannes puisque lui a été remis le Prix de la mise en scène, amplement mérité lorsqu’on voit la pauvreté globale de celle des autres films en compétition. Mais une fois passée la barrière critique cinéphile, que reste-t-il à apprécier dans cet étonnant film hybride, à la fois comédie romantique et polar, plus proche de son Je suis un Cyborg que de Sympathy for Mister Vengeance (son meilleur film après Old Boy pourtant moins connu) ?

Lorsqu’un homme est retrouvé mort en bas d’une falaise, le détective Hae-Joon est chargé de l’enquête. La femme du mort Seo-Rae, migrante chinoise visiblement peu affectée par le décès de son mari, est soupçonnée du meurtre mais l’affection que Hae-Joon commence à lui porter l’amène à remettre en question cette version. À la lecture du pitch, un réalisateur semble prépondérant dans l’influence qu’il a eu sur l’approche de la narration de Park Chan-Wook. Il s’agit bien évidemment d’Alfred Hitchcock dans ce qui apparaît comme une nouvelle représentation des figures de faux-semblant et de tromperie que le réalisateur coréen avait déjà travaillé avec acharnement dans Mademoiselle. De la même manière qu’un De Palma, Park Chan-Wook redigère les codes hitchockiens à sa façon grâce à de longues scènes de voyeurisme où le policier se projette littéralement dans l’appartement de la suspecte, épiant minutieusement chacun de ses faits et gestes. Le personnage de Seo-Rae, sorte de femme fatale mystérieuse et dangereuse, est vecteur d’une obsession sans faille de la part du protagoniste qui n’arrive pas à la sortir de sa tête. On pense à Fenêtre sur Cour, Vertigo et bien sûr à tout un pan du film noir hollywoodien.

Malgré un montage extrêmement efficace révélant par de simples enchainements de plans les doutes et pensées internes des personnages, Decision to leave n’arrive jamais à réellement emporter son spectateur. La faute à une narration extrêmement confuse, incapable de présenter avec clarté les éléments les plus basiques du récit, nous laissant grappiller des miettes de compréhension tel un toxicomane en manque de crack. Les personnages, jamais concrètement introduits, sont difficiles à cerner et à suivre tant les évènements du début s’enchainent sans aucune interruption, sans souci de véritable continuité. Ce problème rend les 2h18 de métrage au mieux légèrement poussif et au pire désagréable, surtout lorsque le climax du film, plus grotesque que poétique, est étendu à outrance sans jamais réussir à fonctionner émotionnellement. Pourtant, n’importe quel admirateur de mise en scène ne saurait être lassé par cette machine rutilante pleine d’artifices et de trouvailles mais finalement vide de sens comme ce plan incongru du point de vue d’un mort sur lequel marche des fourmis dont le ton macabre détonne avec le reste du film beaucoup plus léger. 

Decision to leave laisse un goût étrange dans la bouche, comme si l’on venait d’assister à la projection en avant-première d’un drama coréen bas de gamme, trop bien réalisé pour ce que son écriture arrive à déployer. Ceux qui s’attendent à la violence rugueuse des précédents films de Park Chan-Wook vont être déçus. Car, loin de trouver un équilibre de ton, la comédie romantique dévore complètement la partie polar, finalement reléguée à une enquête d’une évidente simplicité dont les détails sont trop mal expliqués pour être compris. Sur ce point, celle du dernier The Batman passerait pour un summum de complexité à côté de ce qui nous est présenté ici. Passée la grande révélation du milieu de film, l’émotion disparaît. Aucune tension, aucun sentiment amoureux, uniquement la lente monotonie qui broie gentiment le protagoniste en même temps que la patience du spectateur.

L’idée originale du projet est venue à Park Chan-Wook à l’écoute du morceau “Brouillard” de Lee Bong-Jo, présent intradiégétiquement à plusieurs reprises dans le film. Il est alors aisé de voir ce qui l’a intrigué dans cette histoire, mais il l’est moins de comprendre comment il a pu se reposer sur un scénario aussi faible et simpliste. Decision to leave reste néanmoins un objet cinématographique fascinant, sorte de crise de la quarantaine filmique d’un réalisateur en plein questionnement sur sa vie.

2 Rétroliens / Pings

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