Decision to Leave : J’ai entrevu le Diable…

Prêter attention aux détails. Faire du Cinéma et de ses démons un véritable terrain de jeux retors amenant à une investigation vertigineuse jalonnée d’indices et de pièces à conviction déterminantes et/ou compromettantes pour les figures re-présentées. Voir un film en salles (dans la plus pure des tabula rasa) puis le revoir en Blu-Ray et/ou DVD quelques mois plus tard permettent ainsi de considérer l’objet filmique dans sa vue d’ensemble comme dans sa vue la plus exhaustivement détaillée.

Ce travail d’affairiste filmique, de bureaucrate des images et d’entomologiste des plans trouve dans le cinéma du coréen Park Chan-Wook son apothéose… Et c’est à l’occasion de la sortie en support vidéo de son nouveau long métrage Decision to Leave le 16 novembre dernier aux éditions M6 Vidéo que la rédaction de Close-Up Magazine s’est replongée à corps perdu dans l’univers quasiment méphistophélique de l’auteur de la célèbre trilogie de la vengeance exécutée dans la première moitié des années 2000 (avec en point d’orgue le chef d’oeuvre absolu que constitue Old Boy en 2004, polar ultra-violent et machiavélique sublimé par la partition lyrique et majestueuse de Yeong-Wook Jo , ndlr). Et à l’image des grands cinéastes de ce Monde (de Brian de Palma à Steven Spielberg en passant par ses pairs Na Hong-Jin et Bong Joon-Ho) Park Chan-Wook est le créateur de véritables pièces montées cinématographiques mettant un point d’honneur à divertir le spectateur au sens large du terme (le comprendre de fait au sens littéral, à savoir de le détourner de la réalité le temps d’un spectacle…) tout en faisant montre d’une digne ambition de cinéma à la grammaire visuellement affolante.

Ainsi d’un film au suivant, de Sympathy for Mister Vengeance à Old Boy, de Je suis un Cyborg à Thirst en passant par le terriblement sous-estimé Stoker Park a toujours eu la volonté de construire une Oeuvre tortueuse au coeur de laquelle chaque film semble être un lambeau à la fois dissociable et intimement lié à un énorme corpus organique et kaléidoscopique… Entièrement représentatif de sa filmographie Decision to Leave croise, enchevêtre une multitude de motifs répondant ou correspondant à d’autres longs métrages du réalisateur corréen : ainsi la passion destructrice liant l’enquêteur métro-sexuel à sa principale suspecte renvoie immanquablement aux amours dévorantes et vampiriques de Thirst, les papiers peints mêlés de vagues et de rochers tapissant les intérieurs du foyer de Seo-Rae évoquent les motifs violets et cristallins des parapluies et des colis empoisonnés de Old Boy de la même façon que certains chemins de traverse alambiqués voire capillotractés du récit n’auraient rien à envier aux outrances loufoques de Je Suis un Cyborg, dans leur manière impromptue de s’incorporer astucieusement mais perversement à la narration.

Autre et inédite manière de percevoir le diable au regard de Decision to Leave : dans son ahurissante mélancolie et sa profonde tristesse sur fond de Eros et Thanatos, qui ferait presque passer l’histoire d’amour de Sympathy for Mister Vengeance entre une soeur et son frère et celle liant un père de famille à sa petite fille assassinée pour un soap opera insipide voire secondaire. Une fois encore la somptueuse partition de Yeong-Wook Jo se mêle avec panache avec l’univers étrange, tortueux et ultra-cuté du scénario, accouplée entre autres choses à la magnifique Adagietto de la Cinquième Symphonie de Mahler déjà entendue dans l’incontournable Mort à Venise de Luchino Visconti et plus récemment dans Guilty of Romance de Sono Sion… En parvenant toujours à clôturer ses films de la manière la plus élégante qui soit, en grande pompe et souvent en grande musique (le final extrêmement pervers de Old Boy parachevé par sa coda musicale aux allures de fable miyazakienne, la conclusion crépusculaire de Thirst ou – dans le cas de Decision to Leave – une fin tragique et littéralement bouleversante faisant sens au regard de ce qui la précède, nldr) Park Chan-Wook s’inscrit résolument parmi les grands cinéastes du XXIème Siècle, logiquement récompensé du Prix de la Mise en Scène au dernier Festival de Cannes pour son nouveau fait d’armes : et c’est sublime.

Prêter attention aux détails, donc. Se concentrer sur un film que nous n’aurons de cesse de célébrer et de revisionner en l’état d’un support vidéo très correctement élaboré, permettant de découvrir ou de redécouvrir ce chef d’oeuvre du cinéma de Park Chan-Wook en version originale ou en version française, avec possibilité de l’écouter en stéréo ou en version 5.1 selon votre envie. A noter en bonus un commentaire joliment attractif sur le cinéma de Park Chan-Wook concocté par Philippe Rouyer ainsi qu’un court making of revenant sur l’expérience du tournage exécuté en large partie durant l’hiver 2021. Un film résolument flamboyant qui s’impose comme un impératif pour votre vidéothèque personnelle, moins malicieux que forcément bouleversant, bel éclairage d’une Oeuvre où la violence et les passions sont plus que jamais substantiellement unies jusqu’au point de non-retour. Deux ou trois choses ou détails sur lesquels il nous faudra fatalement revenir, à la croisée du Diable et des hauteurs du Septième Art. Mi-angélique, mi-démoniaque le Cinéma de Park Chan-Wook n’a pas fini de nous surprendre. Inéluctablement.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*