Gloria : Un couple épatant cavale après la vie…

Certains cinéphiles connaissent le John Cassavetes estampillé « famille », celui d’une direction d’acteurs réduits à servir la tribu privilégiée du cinéaste : Gena Rowlands, Peter Falk, Ben Gazzara, Seymour Cassel et John Cassavetes himself… autant de comédiens entièrement dévoués à la méthode du réalisateur américain d’origine grecque, dans des films aussi remarquables que l’intarissable Faces, l’extraordinaire Une femme sous influence ou encore le chef d’oeuvre Love Streams, hypothétique chant du cygne au coeur duquel Cassavetes semble avoir littéralement tout donné de lui et de sa muse – et femme – Gena Rowlands.

D’autres, sans doutes un peu plus nombreux que les premiers, connaissent le John Cassavetes de Gloria tourné à l’aube des années 80 en plein coeur de New York City, curieux film commercial loin des extravagances dramaturgiques d’une majeure partie de l’Oeuvre du réalisateur ; une carrière de metteur en scène jusqu’alors menée de main de maître à renfort d’improvisations tour à tour grisantes, suffocantes voire exténuantes lorsqu’elles furent poussées dans leurs derniers retranchements. Succédant au vertigineux Opening Night dans la filmographie dudit cinéaste Gloria met une nouvelle fois en scène Gena Rowlands dans le rôle-titre, l’actrice livrant derechef un rôle de composition semblant taillé sur mesure : incarnant avec brillance la solitaire et peu fréquentable Gloria Swenson la comédienne prouve encore et toujours son génie dramatique, confirmant son statut de plus grande actrice de tous les temps.

L’argument de Gloria tient – à l’instar des autres longs métrages du cinéaste – sur un argument délibérément ténu. Récit de l’alchimie entre une femme de mauvaise vie en accointance avec la mafia new-yorkaise et un petit garçon d’origine porto-ricaine devenu subitement orphelin dès les premières minutes du métrage Gloria montre un couple parfaitement dépareillé en pleine couse contre la mort, devant à son corps défendant échapper à la pègre des bas-fonds de la Grosse Pomme en allant de place en place, d’un hôtel sordide à l’autre, d’un bouge miteux au suivant…

Impossible pour le cinéphage actuel de ne pas penser – au regard de ce pitch au contenu à la fois simple, tendu et palpitant – à un autre film plus récent : Léon de Luc Besson, que le célèbre réalisateur-producteur français tourne dans le courant des années 90 sous l’égide de la Gaumont et qui reprend dans les grandes lignes la sève scénaristique du classique indépendant de John Cassavetes… le nettoyeur joué par Jean Reno ayant remplacé la call-girl interprétée par Rowlands, et l’adolescente précoce incarnée par Nathalie Portman substituant le chérubin tête à claques campé par John Adames dans le film original. Si les dix premières minutes installent d’emblée – brutalement presque – les enjeux du récit (un père de famille passant le flambeau à son rejeton avant son exécution par les malfrats du district, ndlr) de la même façon que le film-culte de Luc Besson cité précédemment l’atmosphère fiévreuse et torride intrinsèque à cette longue séquence empreinte de théâtralité très cassavetienne est largement sublimée par le cinéaste et sa manière unique de découper les espaces et de cadrer les intérieurs urbains.

Gloria sera du reste nettement plus bigger than life que bon nombre d’autres réalisations de John Cassavetes : ici les logorrhées toxiques et dégradantes proférées par les petits-bourgeois de Faces ont laissé place à de brèves sentences typiquement utilitaires et/ou symboliques reléguant au premier plan l’action pure et dure (nous aurons par exemple droit à une scène de cascade de voitures au coeur de l’intrigue, et à plus d’un coup de feu d’un bout à l’autre, ndlr) ; la musique originale composée par le grand Bill Conti assure quant à elle un certain cachet à un film qui, s’il n’est pas le plus grand de son auteur, mérite amplement le détour. Et quelle plus belle occasion que la ressortie en combo Blu-Ray et DVD de cet « égarement commercial » de la part du maître du cinéma indépendant américain pour se replonger dans ce polar noir, âpre et douloureux qu’est Gloria ? Disponible aux éditions Wild Side depuis le 27 juillet dernier cette grosse production s’impose humblement comme un essentiel cinématographique à voir ou à revoir de toute urgence.

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