Conversation Secrète : Suspicion de meurtre en basses fréquences

Connaissez-vous réellement le cinéma de Francis Ford Coppola ? Pour le commun des mortels, il est le réalisateur de la trilogie du Parrain, Apocalypse Now et de Dracula. Le cinéphile en herbe découvrira rapidement qu’il est également l’auteur de petites pépites moins plébiscitées telles que Peggy Sue S’est Mariée, Cotton Club ou l’inoffensif, mais si touchant, Jack avec un Robin Williams inoubliable. Quid du reste de sa filmographie ? S’il est de ces auteurs si estimé, c’est que Coppola est un passionné jusqu’au bout des ongles qui n’a jamais vraiment fait les bons choix. Ses films n’arrivent jamais au bon moment et sont souvent boudés par le public bien que les accueils demeurent sans cesse assez chaleureux de la part des critiques. La plupart des œuvres de Francis Ford Coppola ont été réévaluées avec les années et son œuvre se redécouvre au fil des rééditions vidéos qui lui permettent de consolider le profond respect qui l’entoure dans le cœur des cinéphiles. Ainsi, Francis Ford Coppola est mis à l’honneur cette semaine sur Shadowz. Dans le but d’alimenter la section des thrillers plus que les rayons horrifiques bien garnis, la plate-forme s’est entichée de deux métrages du début de la carrière de Coppola. Le glaçant Dementia 13 ainsi que l’énigmatique Conversation Secrète. Ce dernier film, auréolé de la Palme d’Or à Cannes en 1974, était complètement tombé dans les oubliettes. Remis sur le devant de la scène depuis quelques années, notamment via une élite de fans et autres critiques attristés de l’absence de ce film parmi les divers suggestions des plus grands films de Coppola, ce dernier s’offre une vitrine flamboyante avec le soutien de Shadowz.

Harry Caul, catholique introverti et secret, est un grand spécialiste de la filature. Il est engagé dans une mission pour suivre un couple et enregistrer leurs conversations. Une fois sa mission accomplie, il découvre en écoutant son enregistrement que le couple est en danger de mort. Se souvenant d’une précédente mission au cours de laquelle une famille a été tuée, il est pris dans un dilemme moral qu’il aura bien du mal à surmonter.

Nommé aux Oscars en 1975 dans les catégories meilleur film, meilleur scénario et meilleur mixage son, Conversation Secrète repartira bredouille de la cérémonie. Il sera totalement éclipsé par le grand gagnant affublé de six Oscars, Le Parrain 2. Francis Ford Coppola est sacré meilleur réalisateur tout de même, mais le fait de voir son « projet confidentiel » se faire écraser par sa « grosse commande » est assez symptomatique du comment et du pourquoi Conversation Secrète a été si souvent boudé. Le film s’imbrique entre les deux premiers volets de la trilogie culte de Coppola, le public voulait connaître la suite des aventures de la famille Corleone, il n’en avait que faire d’une histoire de filature menée par un homme introverti. Pourtant, s’il y a bien une récompense que Conversation Secrète méritait par-dessus tout, c’est celle du meilleur mixage son. En terme d’immersion, le film est imparable de technicité, et ce, dès son ouverture. Coppola déconstruit l’élément central de son intrigue (la séquence du parc) et ne nous révélera sa valeur finale qu’en fin de film. Il distille les lignes de dialogues avec parcimonie. Il ne fournit les indices que miettes par miettes, nous permettant de mieux appréhender le quotidien de son héros et surtout de comprendre sa manière de travailler et de distordre les fréquences dans tous les sens. En ce sens, la première heure de Conversation Secrète est absolument fascinante. On ne décroche absolument pas de l’enquête, on tient impérativement à savoir ce que le couple s’est confié au milieu de la foule et ce qui inquiète si promptement Harry. Coppola offre une séance quasiment sensorielle. Il éveille notre ouïe au maximum et accompagne sa démarche d’une mise en image audacieuse. Les inserts qui décortiquent toute l’installation technologique de Harry nous font comprendre immédiatement ce qu’il fait et pourquoi il le fait. C’est une vraie démonstration de mise en scène qui vous attend dans la première moitié du film.

La seconde partie du film ne sera pas en reste non plus. D’un point de vue formel, Conversation Secrète tient la distance jusqu’au bout. Coppola reste ancré dans sa ligne de conduite et le film ne sort jamais des rails. Ce qui est une qualité comme un immense défaut. En effet, après la première heure, le film s’embourbe dans un ventre mou terriblement ennuyeux. Coppola étire le temps pour nous contaminer avec toutes les angoisses de son héros dans le but de nous scotcher lors des dernières séquences. L’effet est réussi, la fin du film nous laisse dans un profond désarroi et la révélation finale, bien que facilement identifiable, parvient à surprendre malgré tout. Mais amputer le film d’une bonne demi-heure ne serait pas du luxe afin de rendre le tout parfaitement digeste. Ce qui nous permet de maintenir la tête hors de l’eau tient en deux choses : la mise en scène et Gene Hackman. Pour la mise en scène, Coppola use et abuse de panoramiques qui surviennent toujours en décalage avec l’action. Le champ s’en retrouve régulièrement vide de tout personnage pendant quelques secondes avant de pouvoir les retrouver une fois leur action effectuée. Le réalisateur maintient ainsi nos sens en alerte et matérialise le fait que Harry a sans cesse un train de retard sur l’enquête. Cette mise en scène est diablement bien pensée et est un bijou analytique à proposer impérativement en école de cinéma. C’est une direction artistique idéale qui appuie parfaitement le fait que Coppola soit un auteur si respecté. On le répète, mais Conversation Secrète est divinement mis en scène ! Ensuite, Gene Hackman confère à Harry une palette émotionnelle aussi distordue que les sons qu’il analyse à longueur de journée. Il est introverti, certes, mais son malaise est bien plus profond et complexe qu’une simple timidité maladive. Si la question du rapport à la foi n’engagera que ceux qui y croient, Hackman offre une dimension proche de certains troubles autistiques à son personnage. Difficile de rentrer dans les détails sans prendre le risque de dévoiler des moments phares de l’intrigue, mais retenez bien que Harry est bien plus torturé par ses propres démons et complexes que par l’enquête et la morale qu’il entend défendre.

En dépit de longueurs fastidieuses, Conversation Secrète a gardé toute sa superbe et demeure un des meilleurs films de la carrière de Francis Ford Coppola. Injustement écrasé par l’immense popularité du Parrain, le film s’offre une nouvelle chance sous la houlette de Shadowz. Très inspiré par Blow-Up de Michelangelo Antonioni, Coppola transcende son modèle pour l’emmener vers une dimension contemplative plus exigeante. Le spectateur n’est plus qu’un simple témoin comme chez Antonioni, il devient acteur majeur de l’enquête. Il tente de percer les secrets de l’enquête. Il essaie de lire sur les lèvres afin de découvrir avant Harry le fin mot de l’histoire. Coppola préfigure ainsi ce que Brian De Palma achèvera en 1981 pour son film Blow-Out dans lequel il synthétisera tous les atouts présents dans Blow-Up et Conversation Secrète, tout en n’omettant pas de citer son maître de toujours, Alfred Hitchcock, via ses nombreux clins d’yeux à Sueurs Froides…mais ceci est un autre sujet…

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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