Inexorable : Totalement, tendrement, tragiquement

De film en film, de surprise en surprise le cinéma de Fabrice Du Welz creuse son sillage dans les traumas, les peurs et les obsessions de la psyché humaine. Auteur à part entière d’une Œuvre qui ne l’est pas moins le cinéaste belge construit depuis son premier Calvaire en 2004 un univers au cœur duquel le cauchemar et l’effroi se conjuguent à une sorte d’amour inconditionnel par et pour ses personnages, qu’il se manifeste sous la forme d’une inquiétante folie douce (Calvaire), d’un deuil suivi d’une longue résilience aux allures d’initiatique (le plastiquement superbe Vinyan) ou encore d’une pureté absolue débarrassée de toute convenance (Adoration, l’avant dernier long métrage du réalisateur sorti au tout début de l’année 2020). C’est donc avec un plaisir et des attentes non-feintes que nous avions pu découvrir sa toute dernière création (en salles le 6 avril) un beau soir de septembre 2021 dans le cadre de la XVIIème édition de l’Étrange Festival : le bien-nommé Inexorable, drame aux accents d’horreurs réunissant entre autres choses l’inénarrable Benoît Poelvoorde, la piquante et intense Mélanie Doutey et la captivante Alba Gaïa Bellugi devant la caméra mais également le talentueux Manuel Dacosse au poste de directeur de la photographie, déjà responsable des splendeurs des précédents Alleluia et Adoration

Qu’en est-il alors du résultat ? Réponse ressentie et annoncée sans ambages : celui d’un choc cinématographique absolu, crispant et passionnant même dans ses nombreuses zones d’ombres (sans doutes ébauchées à dessein par Du Welz), certainement le meilleur film de son auteur-réalisateur. Mystérieux, énigmatique jusque dans son titre – qui à lui-seul représente d’ores et déjà tout un fantasme de créativité et de passion mêlées – Inexorable tient lieu dans l’intimité d’un couple et de leur petite fille qui, dès les premières minutes du métrage, rejoint la grande propriété familiale du beau-père de l’époux ; marié à une éditrice, accessoirement écrivain du roman à succès lui aussi sobrement et fatalement intitulé Inexorable Marcel Bellmer tient du créateur meurtri, cabossé, littéralement « en proie à ses démons ». Accompagné de sa femme Jeanne, soutenu par le luxe représenté par le confort du domaine retrouvé Marcel apparaît aux abords du récit comme une figure en pleine convalescence créatrice, désireux de transformer l’essai de son incontournable succès public et critique en regagnant la vaste maison de beau-papa… Jusqu’au moment où Gloria, une jeune femme d’une vingtaine d’années rapidement embauchée par Jeanne en tant que femme de chambre, noue une étrange relation avec Marcel, de trente ans son aîné.

Nous préfèrerons couper court à toute forme d’informations concernant les tenants et aboutissants d’un récit a fortiori palpitant, vous invitant à découvrir ledit film dans une salle obscure pour une surprise intégrale. Notre éloge ira néanmoins de tous les bords d’un film superbement éclairé par Manu Dacosse (son travail d’une image granuleuse, certainement effectuée sur pellicule puis retravaillée en numérique, est une totale réussite, conférant audit drame des allures de conte cryptique, blême et archaïque tout à la fois), brillamment incarné par tous les comédiens et comédiennes (Benoît Poelvoorde excelle dans ce qu’il sait faire le mieux, à savoir jouer les clowns tristes et envahissants sans pour autant oublier son personnage d’écrivain endolori par la vie et par un passé qu’on imagine dévastateur et dévasté ; Alba Gaïa Bellugi y fait figure de véritable révélation, dans tous les sens du terme, désirable et inquiétante dans le même temps ; Jackie Berroyer, de par sa brève apparition significative pour qui connaît le cinéma de Fabrice Du Welz, s’avère impeccable de justesse…) mais également bénéficiaire d’un somptueux générique de fin réalisé par le graphiste virtuose Tom Kan (déjà auteur du générique d’ouverture de Enter The Void et de celui, central, de Climax de Gaspar Noé).

Quelques mots enfin sur la mise en scène de Fabrice Du Welz, celle-ci réservant de beaux éclats filmiques mettant admirablement en valeur de grands intérieurs tout en jouant sur l’atmosphère diurne, solaire des extérieurs du domaine et des alentours ; directement (mais très librement et intelligemment) inspiré de Shining Inexorable oppose au spectaculaire resplendissant du chef d’oeuvre kubrickien une atmosphère délibérément glauque et dénudée, moins grandiloquente également. Davantage centré qui plus est sur ses personnages et sur le syndrome de la page blanche éprouvé par Marcel Bellmer le récit convoque bon nombre des motifs du cinéma propre à Du Welz, allant de la folle passion destructrice au personnage de Gloria, dont le nom renvoie à plusieurs figures de sa filmographie (de Calvaire à Alleluia en passant par Adoration). Il est certain que d’un film au suivant l’Oeuvre du réalisateur gagne en aboutissement technique et artistique, son Inexorable parachevant un travail peut-être accouché dans la douleur mais, sans doutes, dans la dévotion. Génial.

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