La Fièvre de Petrov : Diffractions mémorielles.

Sélectionné en compétition officielle lors du dernier Festival de Cannes, La Fièvre de Petrov fut également l’un des films évènements de la XXVIIème édition de l’Étrange Festival de cette année. Promu et présenté comme un authentique film-monstre, hénaurme portrait d’une Russie perdue quelque part dans l’entre-deux-siècles, le nouveau long métrage de Kirill Serebrennikov fait figure d’objet littéralement abscons voire même incompréhensible, gigantesque prose filmique promenant son audience dans une pléthore de lieux et d’époques confectionnée à la manière d’un maelström aussi brillant que proprement médusant, allant parfois jusqu’à une certaine forme de rebutement. Difficile mais parfois saisissant dans sa densité poétique et sa virtuosité technique, La Fièvre de Petrov sera visible dans nos salles obscures à partir du 1er décembre 2021, éventuelle occasion pour les spectateurs de découvrir un auteur-réalisateur pour le moins atypique et affranchi de toute contrainte narrative…

Intemporel, atemporel même La Fièvre de Petrov s’ouvre sur une séquence intérieur-nuit tenant lieu dans l’exiguïté d’un tramway bondé de petites gens transis par le froid d’une saison qu’on imagine hivernale : d’emblée Kirill Serebrennikov installe son dispositif technique en la forme de longs plans-séquence épousant avec puissance et fluidité ses diverses figures et ses vastes décors urbains, nous laissant apprécier la maîtrise qu’il manifeste au gré de mouvements de caméra suivant tantôt tel personnage, tantôt tel autre. On devine davantage se qui se présente à notre regard qu’on ne le comprend réellement : un groupement de soldats faisant feu sur la populace au sortir du véhicule, embryon de scène évoquant un tableau de Goya et clôturant ledit plan-séquence inaugural… S’ensuit une multitude de scènes et/ou de saynètes présentant un Petrov fébrile et rongé par l’alcool, évoluant d’une époque à l’autre à la manière d’un inconscient collectif lourdement chargé de réminiscences en tous genres.

Ainsi l’ensemble se vit comme un long poème achronique nous plongeant tantôt à l’aune des années 80, tantôt de plain-pied dans nos contrées contemporaines : Serebrennikov construit son métrage à la manière d’un musée imaginaire au coeur duquel chaque morceau d’intimité équivaudrait à une salle particulière, chacune chargée de couleurs vitriolées ou a contrario feutrées, de visions violentes conférant au grotesque (une femme quadragénaire passant à tabac un individu mastoc dans l’ambiance tamisée d’un salon littéraire, un incendie domestique suivi d’une explosion filmés eux aussi en une seule et unique prise…) et d’instants de grâce pour le moins mémorables généralement exhaussés par une bande originale à la fois composite et pratiquement efficace (Haendel ou Vivaldi pour le répertoire classique, Nick Cave and The Bad Seeds en générique de fin…)… Cette narration erratique et évolutive dans la même temps n’est pas sans rappeler le cinéma de Andrey Tarkovsky, et principalement un film comme Le Miroir tourné au coeur des années 70 : confusion des personnages et des espaces-temps, diversité des textures visuelles (couleurs, Noir et Blanc) et des supports (filmage en pellicule super 16mm, changement de format, etc…), volonté de nous plonger dans la mémoire de son protagoniste à renfort d’images mentales et de projections diverses et variées…

En outre la virtuosité technique mêlée de plans-séquence particulièrement chiadés renvoie directement au style du réalisateur hongrois Kornel Mundruczo, contemporain de Kirill Serebrennikov et responsable entre autres choses des récents Pieces of a Woman et Evolution (ce second film ayant également bénéficié d’une projection au dernier Festival de Cannes dans la section Cannes Premières, ndlr). Car malgré son style visuellement protéiforme et sa multitude de formes aux résonances kaléidoscopiques, La Fièvre de Petrov s’appréhende tel un bloc de cinéma à la cohésion paradoxalement trouble et fascinante, souvent rébarbative mais constamment maîtrisée d’un bout à l’autre. L’ensemble ne peut être réduit à un résumé ou à une explication synthétique de ce qui nous présenté sous nos yeux, tour à tour admiratifs et déconcertés, ahuris et dépités, béats mais empreints d’opacité. Une véritable énigme qui détient le mérite de ne ressembler qu’à elle-même, et ce malgré ses influences honorablement assumées et digérées par Serebrennikov.

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