Aya et la sorcière : La fin des Studios Ghibli ?

La grande question, au regard du nouveau long-métrage des Studios Ghibli, est pourquoi vouloir changer ce qui se fait de mieux en matière d’animation japonaise ? Avec le grand Hayao Miyazaki, Makoto Shinkai (Your name) ou encore Mamoru Hosoda (Les enfants loups, Ame et Yuki) personne n’avait demandé la réalisation d’un film en 3D. Et pourtant, c’est le risque qu’a pris Goro Miyazaki (le fils d’Hayao Miyazaki) dans une volonté de surpasser son père ou un esprit d’avant-garde, avec Aya et la sorcière (Aya to majo en version originale), diffusé à la télévision japonaise le 30 décembre 2020 et disponible en France directement sur Netflix le 18 novembre, après une sortie avortée en salle sous l’égide de Wild Bunch. 

Tiré du roman Earwing and the Witch écrit par Diana Wynne Jones (dont Le château de Hurle avait été adapté par Miyazaki père avec Le Château ambulant), Aya et La Sorcière conte l’histoire d’une petite fille. Elle s’appelle Aya et a grandi dans un orphelinat douillet depuis son enfance. Aimée et choyée, la fillette de 10 ans n’a jamais voulu quitter son cocon et son cher ami Custard. Espiègle, rusée, elle mène son petit monde par le bout du nez ! Lorsqu’un couple étrange vient l’adopter, Aya se rebelle et suit sa nouvelle famille à reculons. Elle finit par apprendre une fois arrivée chez eux que ce sont des sorciers.
Il est vrai qu’on a toutes les raisons détester ce nouveau film d’animation. La première raison évidente est le graphisme en 3D. Le 2D fonctionne toujours aussi bien et pourtant le fils de Miyazaki s’est senti obligé de nous pondre une animation peu commune dans l’histoire des studios Ghibli (par provocation ? Pour trancher avec l’héritage de son père ?). Cet effet si spécial peut faire mal aux yeux aux pauvres âmes sensibles fans d’animation traditionnelle. 
L’absence d’émotion, pourtant caractéristique première de l’animation japonaise est assez frustrante. Pas une once de poésie, de charme, ni de délicatesse. Le design des personnages est dans l’ensemble assez raté avec par exemple des soucis de fluidité. Les cheveux ne bougent pas, les gestes sont saccadés tout comme les mouvements des corps. Ce qui est surprenant pour un film réalisé par ordinateur, avec toute la technologie nécessaire. Les décors sont néanmoins détaillés et réalistes avec une palette de couleurs sympathique à regarder. Mais toujours loin d’être aussi contemplatif d’un film de ce studio, comme Le voyage de Chihiro. Aya et la sorcière tente alors de suivre le modèle de l’animation Pixar au détriment de Ghibli. 

Non seulement l’animation est relativement laide, mais le film manque cruellement d’enjeux. Au fur et à mesure on s’ennui, on s’attend à autres chose. Le scénario qui n’a pas de fond ni de sens souffre d’un manque de rythme. Il se contente uniquement de nous dire qu’Aya est une adorable chipie sans pour autant réellement rentrer dans les détails. De plus, même s’il y a un flashback du passé de la Bella Yaga, on ne sait finalement pas grand chose sur sa vie. Une femme en colère, passant ses nerfs sur une petite fille à forcément un passé douloureux. Mais nous restons sur notre faim. 
Il est évident que le réalisateur s’est indirectement inspiré des œuvres de son père. Il s’agit de son 3ème long-métrage après Les contes de Terremer (qui est d’ailleurs assez proche visuellement parlant des réalisations de Miyazaki père) ainsi que La Colline aux coquelicots qui n’ont pas réussi à sortir de cet ombre. En réalisant Aya et la sorcière, sa volonté était sans doute de changer de registre et de suivre sa propre voix. Et bien que son style est plus réaliste, Goro garde l’influence de son père au sein de son film. 
Notamment Le Voyage de Chihiro avec premièrement le nom de la sorcière antagoniste du film. Bella Yaga rappelle celui de Yubaba. Cette vilaine sorcière au grand nez tenant un établissement de bain pour les esprits (onsen en japonais). Seulement ici la différence c’est que la Yaga vend des potions qu’elle prépare avec Aya. Son caractère impitoyable sauf envers Mandrake, s’associe avec l’amour de Yubaba pour son énorme fils (si vous n’avez toujours pas vu Le Voyage de Chihiro, il est peut-être temps). 
Quant au personnage d’Aya, il est tout le contraire de Kiki, la petite sorcière du même studio, gentille et serviable, elle porte un nom tout mignon à l’opposé d’Aya. Son nom en entier est Aya Gance ou Manigance en version originale Ayatsuru signifiant littéralement manipuler, contrôler. C’est donc à une petite manipulatrice rebelle à qui nous avons affaire. Son intelligence n’est jamais au profit du bien, mais pas forcément au profit du mal. Elle exerce son autorité et ses talents sur son entourage sans être pour autant un antagoniste. Sous cette carapace, on y voit tout de même un fond de « gentillesse ». L’opposition entre ces deux sorcières mêlée à la relation tumultueuse qu’Aya entretient avec sa mère adoptive est peut-être une sorte de métaphore au rapport entre le pilier de l’animation japonaise et son fils. Goro Miyazaki a clairement subi l’ombre de son père et de nombreux désaccords dans les réalisations de ses films.

Quel bilan doit-on tirer de ce film aux ambitions discutables ? Son caractère inachevé. Avec un scénario rasoir et une animation imprécise, Aya et la sorcière ne restera pas dans les annales. Si sa bande-annonce ne faisait pas rêver, le film lui est à la limite de la déception. On attend donc avec une certaine impatience le prochain film de Miyazaki père, Kimitachi ha do ikiru ka (Comment vivez-vous ?), dont la sortie n’est toujours pas annoncée.

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