Chaos Walking : Ce que pensent les hommes…

Doug Liman est un nom qui ne parle pas forcément aux néophytes. En revanche, impossible d’être passé à côté d’au moins un de ces films ces 20 dernières années tant il a multiplié les succès au box-office. De La Mémoire Dans La Peau à Edge of Tomorrow en passant par Mr. & Mrs. Smith ou encore Barry Seal, Liman s’est taillé une réputation de bon artisan du cinéma (d’action, entre autres). Non pas que nous tenons la crème des réalisateurs, seulement, Liman peut se targuer d’être relativement apprécié autant auprès de votre tonton Jean-Pierre, fan de Fast & Furious, que du cinéphile un peu plus exigeant. C’est un réalisateur qui sait comment fédérer un public et qui sait comment le divertir. Une qualité redoutable qui nous pousse à nous jeter sur chacun de ses nouveaux projets les yeux fermés puisque nous savons d’avance que Liman sait comment divertir son audience, à défaut de faire original, et d’autant plus lorsqu’il s’agit de mettre en scène un high concept. Edge of Tomorrow demeure l’exemple parfait de sa filmographie. Avec une boucle temporelle, somme toute basique, il parvenait à mettre un joli coup de pied dans la grande fourmilière du blockbuster d’action pour en sortir un projet couillu et qui se tenait de la première à la dernière seconde. Pas révolutionnaire pour un sou, mais terriblement réjouissant. Chaos Walking signe son retour dans le domaine du blockbuster high concept. Adapté du premier roman de la série littéraire Le Chaos en Marche de l’auteur Patrick Ness, Chaos Walking a connu un développement chaotique (ce n’est pas peu dire). Initialement prévu dans les salles américaines pour mars 2019, il a vu sa sortie repoussée en raison de reshoots programmés suite aux projections tests non-convaincantes. Le film a été repoussé plus de trois fois suite à la pandémie de COVID-19. En France, Chaos Walking a connu les mêmes déboires. Une sortie était maintenue au 4 août 2021, mais il a finalement été annulé pour n’être proposé qu’en VOD fin juillet avant d’atterrir finalement sur Amazon Prime en cette fin août. Comment expliquer un tel revirement ? Les chiffres du box-office américain semblent démontrer un désintérêt pour le film. Les distributeurs n’auraient-ils pas cru en son potentiel ? Que peut-il bien clocher chez Chaos Walking pour avoir été relégué au rang de produit de consommation SVOD ?

Dans un futur proche, les femmes ont disparu. Le monde de Todd Hewitt n’est habité que par des hommes, et tous sont soumis au « Bruit », une mystérieuse force qui révèle leurs pensées et permet à chacun de connaître celles des autres. Lorsqu’une jeune femme, Viola, atterrit en catastrophe sur cette planète, elle s’y retrouve en grand danger. Todd jure de la protéger, mais pour réussir, il va devoir révéler sa force intérieure et percer les sombres secrets qui étouffent son monde.

Lorsque l’on s’attaque à une saga littéraire, le plus difficile est de réussir à contenter à la fois les fans du support original et les inconnus de l’œuvre. Devoir créer et mettre en images tout un univers qui aura été imaginé de milles manières différentes par mille lecteurs différents relève d’un challenge sur lequel beaucoup se sont cassés les dents sans vraiment en sortir indemne. Avec le concept des pensées mises à nu, Doug Liman se frotte à un piège de taille. Comment rendre ce pouvoir cinématographique et non redondant ? Malheureusement, la réponse demeure dans l’équation : c’est impossible. Impossible à tenir sur la longueur sans tomber dans un brouhaha incessant. Pourtant, Chaos Walking sera bien ce vacarme non-stop qui risque de rentabiliser vos ordonnances de boîtes de doliprane. On ne comprend rien, c’est un foutoir sans nom, toutes les pensées de tous les personnages se confondent en permanence. Si l’idée était de nous faire ressentir l’état de folie d’un malade atteint de personnalités multiples, c’est hautement réussi. En revanche, si l’idée était d’en faire un bon film, on préférera se crever les tympans que d’avoir à subir cette torture de nouveau. Souvenez-vous de ce que ressentait le personnage de Mel Gibson dans l’excellent Ce Que Veulent Les Femmes. Rappelez-vous les quelques séquences où le héros pense avoir le crâne qui explose tant son cerveau capte des milliers d’informations à la seconde. Dans le film de Nancy Meyers, c’était drôle car cela desservait un tempo comique le temps que quelques brèves scènes, préférant recentrer son héros au contact d’une, voire deux maximum, interlocutrice féminine à la fois. Chaos Walking aligne des tonnes de séquences avec des dizaines d’hommes en train de penser en même temps. On vous laisse imaginer la partouze auditive exécrable qui nous a définitivement bousillé les oreilles. On ne peut pas enlever à Liman de tenir son concept tout le long (enfin, presque). Les intentions sont louables, cela ne veut pas dire qu’elles sont bonnes.

Côté casting, c’est un néant abyssal également. Tous les acteurs semblent être venus cachetonner sans avoir la moindre idée ce qu’ils sont en train de faire. C’est un bordel sans nom. Les intentions des personnages ne sont jamais claires. Du moins, elles le sont, mais les enjeux sont futiles et sans intérêt. Le film s’étire sur presque deux longues heures pour nous forcer à admirer deux individus être pourchassés par une horde de mâles en rut. Tom Holland passe son temps à fantasmer d’un baiser de Daisy Ridley quand Mads Mikkelsen campe, une fois n’est pas coutume dans ses films américains, un méchant pseudo mâle alpha, gourou à ses heures perdues et aussi clair dans ses intentions qu’un déni de grossesse. Et même quand le film décide de se la jouer méchant, il tombe dans la violence gratuite et injustifiée. Cette violence provient du personnage d’Aaron qui se veut être une sorte de prédicateur assoiffé de morale et de croyances mystiques. Il y a une séquence où ce dernier poursuit les héros. La fin de cette poursuite se conclut par un sacrifice éhonté qui, sur le moment peut paraître justifié dans l’idée d’amener le héros vers sa catharsis, mais qui ne restera qu’au stade du simple acte de barbarie sans foi ni loi. Une séquence de cruauté totalement gratuite juste pour verser dans le sensationnel du moment. Il fallait vraiment que le film en passe par là pour se donner un semblant d’intérêt ? Ça ne le sauvera d’aucune manière, bien au contraire, cela fera naître l’envie d’arriver au générique de fin le plus vite possible. Chaos Walking est un non-film. Une longue scène d’exposition qui n’en finit jamais. C’est mou du genou, on s’ennuie ferme, où est passé le talent d’artisan de Doug Liman ? Sa mise en scène est indigente, c’est affolant de platitude. Ne reste qu’un visual design plutôt propre, mais à ce stade, le minimum syndical ne peut sauver Chaos Walking du carnage qu’il est.

Et dire que les livres de Patrick Ness ont été récompensés de nombreux prix prestigieux dont le Guardian Award en 2008 pour le premier tome. Il y a fort à parier que les romans doivent être passionnants puisque dévoiler les pensées de tous les hommes se prête à un format écrit. Quoi qu’il en soit, s’il devait y avoir des suites cinématographiques, ce sera sans nous. Nous tenons à préserver nos tympans de ce capharnaüm inintéressant. Chaos Walking signe le premier vrai mauvais film de Doug Liman (il fallait bien que cela arrive un jour). Les personnages sont des coquilles vides, les enjeux n’existent pas, la violence est injustifiée et la mise en scène est aussi molle que la libido d’un vieillard en soins palliatifs. Circulez, il n’y a vraiment rien à voir !

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