Patrick : De mon sarcophage organique…

Racé, confidentiel, boudé souvent même par les aficionados du cinéma de genre le Patrick de Richard Franklin (moins communément nommé Coma par certains distributeurs et cinéphiles avertis) est – depuis le 6 mars 2020 – susceptible d’être redécouvert en l’objet de la superbe réédition DVD et Blu-Ray de Rimini Editions. Clairement inscrit dans le courant de la Ozploitation ( le cinéma d’exploitation australien des années 70-80 ) Patrick précède le fabuleux Roadgames dans la filmographie de son auteur-réalisateur – chef d’œuvre du road-movie élégamment ludique et profondément hitchcockien. Film de genre pur et dur Patrick/Coma a de toute évidence égaré son public lors de sa sortie en salles en 1978, rechigné par le public large et souvent remis en question par les niches, voire considéré par certains comme un nanar foutraque et dispensable…

Captivant récit d’un quidam alité dans une chambre d’hôpital, privé de ses cinq sens et ayant développé un don de psychokinésie au sortir d’un traumatisme aux causes plus ou moins inconnues, Patrick est un long métrage pourtant passionnant à bien des égards. Solidement étayé par le scénario du grand Everett de Roche (déjà responsable de Long Weekend, survival écolo joliment représentatif de la Ozploitation et sorti la même année), le film de Richard Franklin distille sa prodigalité au cœur du subconscient cinéphile du spectateur, l’invitant à une promenade par-delà le musée imaginaire des horreurs en tout genre.

D’emblée le Carrie de Brian de Palma s’affiche en filigrane à travers le caractère néfaste des pouvoirs paranormaux du personnage-titre ; ledit Patrick (impeccablement joué par Robert Thomson, acteur aux faux airs de Gerrit Graham dont l’exubérance évoque les icônes baroques du cinéma de Ken Russell – Tommy en tête), personnage laissé pour mort socialement mais à l’organisme encore actif voire décuplé en matière d’intensité, contient in situ la fameuse dichotomie et/ou symbiose entre la chair et l’esprit propre à David Cronenberg. Cultivant une grammaire cinématographique voisine du Brian De Palma période hitchcockienne (on songe à Sisters, à Phantom of the Paradise et même à Dressed to Kill avant l’heure…), Richard Franklin convoque en outre les musiciens de Goblin (groupe-fétiche de Dario Argento et de Romero) pour signer une partie de la bande originale de son film, tout en le ponctuant d’effets parfois amusants et logiquement de mauvais goût : impossible alors de ne pas penser a posteriori au Kill Bill volume 1 de Quentin Tarantino lors des séquences de crachat comateux et réflexif du personnage principal, leitmotiv narratif qui sera représenté comme un gimmick fétichiste près de trente années plus tard par l’auteur de Pulp Fiction

Outre les références et l’ébullition citationnelle intrinsèques au visionnage, c’est le remarquable sens du découpage et de la narration qui sidère au regard de Patrick. En véritable mille-feuilles, ce morceau de cinéma bis tire un maximum d’efficacité de l’aspect fauché de son imagerie et du budget modeste mis à disposition de Richard Franklin tout en déjouant admirablement nos attentes en termes de psychologie : ainsi ledit métrage évitera presque intégralement de nous expliquer les raisons de la pathologie monomaniaque et érotomane liant Patrick à l’infirmière Melle Jacquard (Susan Penhaligon, portant en grande partie le film), excepté lors de son incipit très stylisé, introduction sciemment freudienne et psychologisante montrant un jeune homme cherchant à tuer la figure père/masculine et à s’accaparer celle de la mère par un passage à l’âge mutique et électrifié. La séquence est belle, parodique et saisissante jusque dans sa démonstration somme toute très naïve et dispensable, rappelant encore une fois les prétextes narratifs du cinéma de Sir Alfred et les codes d’un De Palma ou d’un Romero.

Le scénario de Everett de Roche parie énormément sur une certaine forme de classicisme narratif (on suit presque à la trace le personnage de Melle Jacquard, la véritable héroïne de Patrick, la place laissée aux péripéties s’avère importante, la conduction du récit demeure linéaire, ordinaire presque…) tout en explorant l’ambivalence du sixième sens de Patrick avec une forme de fascination inconsciente : de ce point de vue le quidam ( en communiquant avec l’infirmière Jacquard par l’entremise d’une machine à écrire animée par la seule force de son esprit ) fonctionne sur un principe de compensation, de mort/vie et d’apathie/créativité, à la manière d’un système polarisé non exempt de poésie. Cette ambivalence nourrira d’ailleurs ce qui restera la plus belle scène du film de Richard Franklin : une séquence nocturne de tentative de meurtre par noyade télékinétique dans une piscine luxueuse, séquence à travers laquelle le cinéaste joue sur l’alternance entre monde concret, rassurant et monde souterrain et subaquatique, s’amusant à disséquer le premier mouvement du très symphonique Sacre du Printemps de Stravinsky au gré des différents niveaux de perceptions sensorielles. Cloué sur son lit d’hôpital, blême voire exsangue (le film ne contient du reste que très peu d’hémoglobine), Patrick maîtrise néanmoins son petit monde, manipulant sa relation avec Melle Jacquard tout en malmenant voire suicidant ses proches.

En définitive Patrick fascine dans sa formidable capacité à transmettre sa violence malaisante malgré la ténuité de ses effets ; en dépit de quelques détails traités de façon un rien approximative il séduit par son inventivité et ses promesses tenues d’un bout à l’autre. À noter que cette petite pépite du cinéma australien à remporté le Grand Prix au Festival d’Avoriaz en 1979, preuve que les adeptes de fantastique et de surnaturel ont su reconnaître la légitimité d’un film cruellement mésestimé par une large partie des cinéphiles. À réhabiliter.

3 Rétroliens / Pings

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