Roadgames : surfaces réfléchissantes…

Parangon de la Ozploitation, road-movie pur et dur à la croisée du thriller hollywoodien Roadgames de Richard Franklin est le programme proposé par Jean-Baptiste Thoret en la matière du 8ème numéro des éditions Make My Day !, collection de films encore et toujours présentés sous la forme d’un édifiant combo Blu-Ray/DVD permettant de (re)découvrir quelques-unes des plus belles raretés injustement oubliées du Septième Art. Cinéaste érudit et passionné de cinéma américain, Richard Franklin s’était fait connaître avec Patrick à la fin des années 70, morceau de genre mâtiné de déviances et de pouvoirs paranormaux pour le moins percutant, film appartenant lui aussi au cinéma d’exploitation australien dont la période faste s’achèvera vers la fin des années 80. Retour sur ce numéro 8 selon Thoret, véritable écrin de beauté filmique littéralement fascinant convoquant les grands espaces du bush aborigène tout en y insufflant la grammaire cinématographique du principal mentor de Richard Franklin : l’incontournable maître du suspense Sir Alfred Hitchcock.

Écrit par Everett De Roche (le scénariste emblématique de la Ozploitation responsable de Long Weekend de Colin Eggleston mais aussi du scénario de Patrick, ndlr) Roadgames part dans un premier temps d’une idée de variation sur Fenêtre sur Cour, chef d’oeuvre et classique du cinéma tourné près de trente années plus tôt par Hitchcock : récit linéaire d’un modeste camionneur indirectement témoin d’une série de meurtres le film de Richard Franklin dépeint la quête obsessionnelle de son protagoniste vers la découverte du tueur, tout en prenant le fil conducteur d’un périple marchand exécuté à renfort de transport de viande froide. Pour ce faire le réalisateur (également producteur du projet) expatrie deux stars bankables du continent Nord-Américain afin qu’elles interprètent le routier investiguant à qui mieux mieux et son accompagnatrice de voyage, figures respectivement incarnées par l’excellent Stacy Keach et la presque alors débutante Jamie Lee Curtis (parfaite en auto-stoppeuse réfutant l’autorité diplomatique de son paternel…). Nous sommes en 1981 et l’héritage hitchcockien bat son plein : Dario Argento et Brian De Palma sont à la pointe de leur succès, chacun ayant peu ou prou remarquablement digéré la grammaire de l’auteur de Psychose et de La Mort aux Trousses au point de faire quelques-unes des relectures les plus passionnantes de son Oeuvre… Loin d’être un simple et vulgaire épigone du Maître Richard Franklin se hisse au même rang que les deux cinéastes sus-cités, invitant le spectateur à se promener dans l’imaginaire de Sir Alfred en privilégiant le ludisme et les innombrables clins d’oeil au détriment d’un héritage plus théorique et démonstratif (marque de fabrique de Brian De Palma) ou simplement esthétique (sceau identitaire du cinéma de Dario Argento). Et pour cause : Roadgames constitue – du haut de ses 100 minutes de métrage – un objet de pure stimulation proche du terrain de jeu(x) policier(s) en grande partie porté par le personnage bavard et spirituel de Pat Quid (Stacy Keach, donc), quadragénaire soliloquant le plus clair de son temps au volant de son bahut faisant office de chambre froide…

Dès les premières minutes le film passionne, installant très intelligemment ses personnages et son découpage, ses motifs et son esthétique surréelle, quasiment morganatique. Richard Franklin densifie d’emblée la figure de Pat Quid, la rendant attachante, sympathique et indépendante dans le même temps. En jouant sur la symbolique de son sobriquet (Quid serait-il le diminutif de quidam, un individu perdu parmi l’immensité du no man’s land que constitue l’outback australien ?) le cinéaste convoque immanquablement un autre grand road-movie de l’Histoire : Duel de Steven Spielberg, autre film sous influence hitchcockienne, chef d’oeuvre de réalisation campé par un Dennis Weaver interprétant un certain David Mann (autre homme, autre man écarté à son corps défendant de la civilisation par le célèbre réalisateur et inventeur du blockbuster…). Gambergeant dès que l’occasion se présente, monologuant avec son prétendu dingo couché sur la banquette de gauche et dialoguant surtout avec lui-même Quid est de ces personnages auquel le spectateur ne peut que facilement s’identifier, suffisamment viril pour faire l’effet d’un héros potentiel et avec juste ce qu’il faut d’arrogance pour susciter le respect (Stacy Keach définit du reste son personnage comme une « sorte de renégat »). Au gré des suppositions et de ses multiples pertes en conjectures Quid cristallise toute la dimension énigmatique d’un polar à l’atmosphère fascinante, rappelant l’entêtement du héros incarné par James Stewart dans Fenêtre sur Cour C’est moins la résolution de l’enquête – d’ailleurs simultanément amenée avec l’arrivée à destination du camion de Pat Quid – qui importe que l’incessant onanisme hypothétique de notre baroudeur, bavardage transformant ce qui n’aurait pu être qu’un simple road-movie traditionnel en une élégante et atypique étude de caractère(s).

Aux côtés dudit Quid-am la belle auto-stoppeuse campée par Jamie Lee Curtis fait de jolies merveilles de cinégénie (à noter que l’actrice n’est autre que la fille de l’incontournable Janet Leigh, icône assassinée à coups de lame et sous la douche d’une chambre de motel dans le non moins incontournable Psychose d’Alfred Hitchcock vingt ans plus tôt…), servant de parfait contrepoint à notre voyageur de grand chemin. En outre la finesse des dialogues, largement improvisés par Stacy Keach, confèrent parfois des allures de rêve éveillé à un métrage à la croisée des influences : on songe notamment au premier quart d’heure du A bout de Souffle de Jean-Luc Godard, référence à travers laquelle le voyou Michel Poiccard interprété par Belmondo enchaîne les commentaires pulp et dérisoires au volant de son automobile… Hybride, complexe et pratiquement vertigineux Roadgames n’en finit pas de se réinventer au fil de ses séquences jalonnées d’interrogations à la fois vaines et saisissantes, aux tenants et aboutissants mystérieux mais dont le cheminement tient de la très, très haute réussite. Un grand film rendant gloire au cinéma hitchockien tout en imposant son propre ADN cinématographique. Le hasard (le destin ?) voudra que Richard Franklin réalise Psychose II juste après ce titanesque polar à deux voies, preuve de sa ferveur cinéphile et de son assimilation de la grammaire cinématographique de son mentor… Superbe !

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*