Sharp Objects : La famille, ce poison

Une fois de plus, l’année 2018 nous aura comblés en mini-séries, de plus en plus de productions de qualité se démarquant. Outre The Terror ou encore The Haunting of Hill House, Sharp Objects s’est largement faite remarquer et pour cause ! Il faut dire que la série partait déjà gagnante sur le papier : créée par Marti Noxon (scénariste ayant largement œuvré sur Buffy contre les vampires mais aussi Mad Men et Unreal), adaptée du premier roman de Gillian Flynn (qui aura vu ses livres adaptés à rebours), réalisée par Jean-Marc Vallée (déjà derrière la première saison de Big Little Lies) et portée par Amy Adams et Patricia Clarkson, Sharp Objects vendait du rêve bien avant son visionnage. Sa sortie en DVD et Blu-Ray chez Warner Video depuis le 28 novembre dernier nous a donné l’occasion de rattraper la série avec un grand plaisir.

D’une durée de huit épisodes, Sharp Objects met dans l’ambiance dès le début. Camille Preaker, journaliste tourmentée qui a longtemps séjourné en hôpital psychiatrique pour automutilation, revient dans sa ville natale de Wind Gap, Missouri pour enquêter sur deux meurtres de jeunes filles ayant choqué la communauté. Alors que la police locale piétine, incapable de gérer une affaire aussi énorme, un inspecteur de la criminelle se rend sur place. Camille, poussée par son rédacteur en chef, n’est pas vraiment heureuse de revenir à Wind Gap après tant d’années. Il faut dire qu’elle y a perdu une sœur et que sa mère Adora est une femme autoritaire et distinguée qui ne supporte pas qu’on la froisse. La venue de Camille a beau faire plaisir à sa jeune demi-sœur Amma, elle n’est pas du goût de tout le monde et ce d’autant plus qu’elle pose des questions bien gênantes aux yeux d’une communauté qui se souhaite irréprochable…

Le roman de Gillian Flynn était déjà poisseux, sous la houlette de Marti Noxon et de Jean-Marc Vallée, Sharp Objects devient carrément vénéneuse ! A l’aise avec son sujet, Jean-Marc Vallée ressort ses tics de mise en scène (caméra épaule, plans courts, montage très abrupt) pour mieux servir le propos de la série. En effet, toute la réalisation colle au plus près de Camille et de ses souvenirs et pour cela, Vallée n’hésite pas à recourir à un montage très sensoriel où l’on sent très vite que quelque chose ne va pas et où l’on comprend plus tard des images déjà aperçues plus tôt. Cette réalisation abrupte permet de plonger directement dans la psyché du personnage et permet également de bien ressentir l’atmosphère étouffante de Wind Gap (les marques de transpiration sur les vêtements sont omniprésentes), une ville du Sud où l’on célèbre encore chaque année un héros de l’armée confédérée.

Du côté de l’écriture, la série pèche un peu par sa volonté d’étirer le roman, ce qui se ressent notamment sur certains épisodes où l’intrigue traîne en longueurs. Sharp Objects se rattrape cependant sur une vraie maîtrise du côté des personnages et surtout dans un fabuleux cinquième épisode centrant l’action autour d’un seul lieu et cristallisant la majorité des enjeux de la série. On appréciera également le final un peu brutal mais fort bien placé, laissant un goût amer en bouche. 

Série tourmentée à l’image de son héroïne, Sharp Objects allant chercher très loin là où ça fait mal, dans les traumas du passé qui nous définissent et qui nous hantent. Cet équilibre instable entre passé et présent crée toute l’atmosphère de la série, mettant en scène Wind Gap comme une ville profondément enferrée dans son passé, incapable d’évoluer dans ses mentalités et ses coutumes, poussant alors certaines personnes vers la violence.

Là où Sharp Objects vise cependant le plus juste, c’est dans sa description parfaitement terrifiante d’une famille dysfonctionnelle. Sous ses airs de riche bourgeoise bien sous tous rapports, la terrible Adora Crellin n’est qu’une femme tyrannique n’aimant rien de plus que d’avoir l’attention de ses filles. Pas étonnant dès lors que Camille, l’héroïne de la série, soit perturbée, elle qui a lutté pour ne pas tomber sous la coupe de sa mère, non sans en payer le prix. Bien que psychologiquement meurtrie, le corps couvert de mots gravés au rasoir sur sa chair, Camille est très certainement la seule de sa famille à avoir un certain sens moral. La passivité de Alan, son beau-père et les provocations incessantes d’Amma, véritable lolita juchée sur patins à roulettes, désignent rapidement Camille comme la seule membre de sa famille à mériter notre empathie. Très sombre et vénéneuse, Sharp Objects n’a de cesse que de nous rabâcher sans cesse la même thématique avec une réussite flagrante : la famille, notamment le rapport avec nos parents, nous définissent pour toujours qu’on le veuille ou non et cela peut nous bousiller à vie.

Un constat glaçant comme seul Gillian Flynn sait les faire, elle qui déconstruit ses héroïnes pour mieux nous les montrer fortes. A ce niveau-là, l’auteure et scénariste (elle a participé à l’écriture de trois épisodes de la série) est servie car le casting réuni pour la mini-série est impérial. On n’avait aucun doute sur le talent de la géniale Patricia Clarkson pour embrasser toute la froideur et la classe d’Adora Crellin. L’actrice n’a pas volé son Golden Globe tant elle s’y montre impériale sur toute la ligne. Mais c’est bien Amy Adams qui emporte le morceau dans son rôle le plus sombre jusqu’à présent où elle se livre à nu, embrassant un personnage complexe et tourmenté qu’elle porte avec toute sa force et sa fragilité. Face à elle, la jeune Eliza Scanlen est une vraie révélation, jouant le personnage d’Amma avec un mélange d’innocence et de férocité juvénile de façon étonnante. De Chris Messina à Henry Czerny en passant par Matt Craven ou Miguel Sandoval, tous les acteurs réunis ici sont épatants et contribuent grandement à la réussite d’une série placée sous les meilleurs auspices dès le début, preuve que HBO a un sacré flair pour se garantir le succès.

Il est dès lors dommage de voir une mini-série si réussie nous être livrée dans une édition vidéo avare en bonus. En effet, on ne trouve que dans les bonus un module de cinq minutes intitulé Créer Wind Gap et centré sur la construction de cette ville fictive du Missouri là où l’on aurait bien voulu des éléments beaucoup plus constructifs comme un making-of. Qu’importe, cela ne nous empêchera pas de profiter de la série comme il se doit, celle-ci étant proposée dans un Blu-Ray techniquement irréprochable, permettant de mieux plonger au cœur de la torpeur de Sharp Objects.

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