Uncle Frank : Mon Oncle de New York

Alan Ball, à l’instar de David Chase, a contribué à rendre le format de la série Tv plus intéressant dans son ensemble par rapport au cinéma. Par des scénarii plus complexes et resserrés, la construction de personnages denses, le scénariste a amené la série télévisuelle à être équivalente aux longs-métrages. Il a permis au format de passer un cap, à devenir supérieur n’étant plus simplement le show divertissant et amusant de l’américain moyen entre 19h et 21h. Sa contribution au cinéma est tout aussi brillante, car l’homme ne s’est pas arrêté aux séries Tv. Son scénario pour American Beauty, réalisé par Sam Mendes, est aussi désinvolte que génial. En 2007, Alan Ball passe inévitablement à la mise en scène avec l’oublié Tabou(s). Après avoir tenté la série pour adolescents avec True Blood, puis la déception en 2018 avec Here & Now n’ayant pas dépassé une seule saison, revoici le talentueux scénariste derrière une caméra avec Uncle Frank disponible sur Prime Vidéo le 25 novembre 2020. L’attente aura été bénéfique, car 12 ans après l’adaptation du roman d’Alicia Erian (Tabou(s)), il signe avec ce second film un drame personnel bouleversant.

Découvert en compétition lors de la 46e édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, Uncle Frank a ému le public qui lui a attribué son prix. Le long-métrage raconte, par le prisme de la jeune Beth (Sophia Lillis), le drame du fils aîné d’une famille du Sud des États-Unis faisant face à la révélation de son homosexualité. Le film se déroule en 1972, mais s’espace entre trois temporalités. Tout d’abord en 1968 lors d’un anniversaire où le spectateur capte le regard de la toute jeune Beth en admiration envers son oncle, un homme différent, raffiné et cultivé, à part de son père et de son grand-père hurlant devant le poste de télévision. On ressent à cette fête familiale les ressentiments d’un père envers son fils qui se tait au fond du salon.
Quelques années passent et Beth part à l’université de New-York où son oncle Frank est professeur de littérature. C’est là qu’elle prend conscience de la position de cet homme admiré, mais se révélant fragile. Le décès du grand-père va alors faire ressurgir les drames du passé.

Présenté en introduction du film par Alan Ball via une vidéo, Uncle Frank n’est pas tiré d’une histoire vraie, mais inspiré d’une personne qui aurait pu compter dans sa vie. Lorsqu’il était jeune, Alan Ball annonça à sa mère son homosexualité. Sa réaction ne fut pas des plus enthousiastes. Mais elle lui raconta alors l’histoire d’un oncle de la famille qui avait lui aussi “un ami spécial” retrouvé inexplicablement mort dans un lac. Alan Ball ne le rencontra jamais, mais imagina avec Uncle Frank une histoire qui aurait pu être la sienne.
L’acceptation d’une condition, le regard d’un père vers son fils et l’éclatement des liens familiaux par le refus de celui-ci d’admettre que son ainé est homosexuel. Alan Ball vise juste avec ce long-métrage poignant et sincère offrant à Paul Bettany l’un des rôles de sa carrière. L’acteur anglais trouve en Frank un rôle à sa mesure faisant éclater le solaire et la fragilité d’un personnage attachant et beau. Frank se confronte à cette famille rustre où seules la mère et sa sœur sont d’un réconfort certain. «  Les mères savent toujours  » finit par avouer cette mère forte incarnée avec sagesse par l’impayable Margo Martindale (The Rocketeer/Justified). 

Aux côtés de Paul Bettany, n’oublions surtout pas Peter Macdissi, compagnon à la ville d’Alan Ball, qui amène au film une bienveillance, une certaine folie accompagnant avec répartie Frank et sa nièce sur les routes vers Creekville pour l’enterrement du père. Justement, la nièce incarnée par Sophia Lillis qui s’échappe de Ça d’Andrès Muschietti pour enfin s’offrir un début de carrière intéressant. Après sa participation à la sombre série Sharp Objects en incarnant une Amy Adams jeune, elle trouve dans Uncle Frank un rôle doux devenant le regard, l’incarnation d’Alan Ball dans ce récit touchant. Elle est surtout la guide du spectateur au gré d’un film qui ne s’empêchera pas de jouer du violon dans son dernier tiers, malgré toute la beauté de la séquence dans le salon entre Frank et sa mère.

Alan Ball, avec Uncle Frank, réussit enfin, haut les mains, à passer la case «  cinéma  » avec succès. Si le film ne bénéficiera pas d’une exploitation en salles, sa disponibilité en exclusivité sur Prime Vidéo ne doit pas vous rebuter de vous jeter sur un drame fort, l’une des grandes réussites de l’année 2020 en termes de cinéma. Une perle qui devient rare aujourd’hui qui profite de la sincérité de son auteur et du talent hors du commun de son comédien principal, à son paroxysme dans ce rôle bouleversant.

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