La Voix d’Aida : Souffrance Universelle

C’est au crépuscule de l’hiver 2021 que la rédaction a pu découvrir le nouveau film de Jasmila Zbanic, cinéaste balkanique à l’Oeuvre encore en devenir (la réalisatrice d’origine bosnienne, âgée d’à peine 47 ans à ce jour, n’a tourné qu’une petite poignée de longs métrages tous peu ou prou engagés, films auscultant les plaies d’une Ex-Yougoslavie ayant bien du mal à se relever et à se re-composer politiquement et idéologiquement jusqu’alors…) mais résolument douée de courage et de nécessité mêlés : présenté à la Mostra de Venise en 2020 La Voix d’Aida (autrement intitulé Quo Vadis, Aida ? ndlr) retrace une page cruellement oubliée de bon nombre de manuels d’Histoire : le massacre de plusieurs milliers de bosniaques dans la municipalité de Srebrenica en juillet 1995 exécuté principalement sur des hommes et des garçons, conflit local vaguement jugulé par la Force du maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies mais profondément vécu et subi de l’intérieur par les ressortissantes de la région ; moins conflit d’intérêts que génocide idéologique celui de Srebrenica fut le triste et horrible spectacle de toute une partie de la population féminine bosnienne contemporaine, le dernier long métrage de Jasmila Zbanic ayant du reste été partiellement conçu à renfort des nombreux témoignages de femmes (mères, filles, tantes, cousines…) directement concernées par l’évènement.

Ainsi la réalisatrice se focalise stricto sensu sur la figure titulaire d’Aida, professeure d’anglais plongée sans ambages dans le camp de réfugiés bosniaques contrôlé par l’armée serbe et amenée à servir d’interprète entre les forces assaillantes, les Casques Bleus plus impuissants qu’autre chose et les nombreux captifs. Jasmila Zbanic manifeste d’emblée sa formidable capacité à reconstituer l’évènement sus-cité, incorporant à l’Histoire des motifs de l’ordre de la fiction (la protagoniste, impeccablement interprétée par Jasna Duricic n’a pas – au sens rigoureux du terme – réellement existé) tout en fabriquant minutieusement un authentique objet de cinéma : règle des trois unités tragiques (lieu, temps et action à l’issue fatale), naturalisme photographique mettant en évidence la dimension terrible d’un foudroyant crime de guerre, bande-son concrète et atmosphérique particulièrement chiadée, etc… Elle tisse pragmatiquement des enjeux à la fois simples (faciles, diront les plus sévères…) et solides en dépeignant Aida comme une médiatrice et une mère de famille dans le même mouvement d’oppression : prise entre deux feux cette femme-courage étayera toute la substance d’un film évitant habilement le sensationnalisme et le spectaculaire indécent, long métrage préférant capter deux camps voués à cohabiter le temps d’un drame de cinéma tour à tour rêche, sobre et violent in fine.

Si le film prévaut énormément pour sa charge historique (il peut aisément se hisser au rang des authentiques oeuvres de cinéma destinées à nourrir la Mémoire et ses devoirs…) il reste malgré tout un tantinet rébarbatif et finalement assez indigeste pour un spectateur avide de films de guerre racoleurs et/ou tapageurs : c’est à la fois la grande force et la petite faiblesse d’un film réfutant toute forme d’effets gratuits, s’en tenant à dépeindre des comportements plutôt que des actions filmées bigger than life… En résulte un drame historique presque ascétique mais parfois plombant et difficile à avaler, à l’image d’une réalité qui aujourd’hui (et grâce à Jasmila Zbanic) se voit exhumée d’un oubli mêlé de honte et de culpabilité. C’est à voir.

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