Scalps : Résurgence du western spaghetti

Le western spaghetti, genre ultra prolifique pour le cinéma italien qu’il n’est plus besoin de présenter. Sûrement le genre le plus populaire (avec le giallo) qui trouve grâce aux yeux des cinéphiles amateurs de cinéma bis. Si, pour le néophyte, ce genre impute au grand Sergio Leone, le western spaghetti demeure bien plus vaste qu’une simple critique sur deux colonnes ne permettrait jamais d’en faire le tour. Entre les parodies portées par Terence Hill et Bud Spencer, les westerns plus obscurs de Sergio Corbucci, les essais infructueux de grands réalisateurs comme Mario Bava… On en aurait des choses à raconter. Mais ce qui va nous intéresser aujourd’hui demeure dans la catégorie « essai infructueux » justement (qui ne veut pas dire « raté » pour autant). Si Mario Bava n’a pas livré un western concluant en 1964 avec Arizona Bill, ce n’était pas sans sous-estimer le talent du bonhomme à littéralement inventer le giallo et le slasher par la suite et livrer des pépites du cinéma de genre encore présentes dans nos mémoires aujourd’hui. Le fait qu’il se soit essayé au genre le plus en vogue en Italie à l’époque est symptomatique de ce qu’il s’y passait dans l’industrie cinématographique. Les italiens ont leurs œuvres majeures adorées et enviées du reste du monde, mais ils ont également été les instigateurs d’une mouvance nettement plus nanardesque. Ils ont été enviés et il ont envié également. Combien de films post-apocalyptique italiens ont tenté de singer Mad Max ? Combien de films de morts-vivants ont tenté de trouver le même succès que Zombie ? Et en la matière, un nom revient très souvent sur les lèvres des amateurs, Bruno Mattei. L’homme aux milles facettes capable du pire (Virus Cannibale) comme du moins pire (Novices Libertines). Aujourd’hui, on s’intéresse à sa tentative de résurrection du western spaghetti avec Scalps sorti trois ans après que Sergio Leone ait accouché d’Il Était Une Fois En Amérique…en terme de timing, on a connu mieux !

En 1875, au Nouveau-Mexique, la fille d’un chef indien, Yari, est enlevée par une troupe de soldats sudistes après qu’ils aient massacré toute sa tribu. La jeune femme parvient à s’échapper et vient se réfugier dans la maison de Matt, un vétéran devenu fermier, qui accepte de la soigner, la protéger et de l’aider à se venger.

Tout d’abord, Scalps surprend par son aspect ouvertement sérieux. Nous ne sommes pas de grands connaisseurs du cinéma de Bruno Mattei et nous concédons vouer un amour hors-normes pour ses bisseries d’outre-tombe sauce Les Rats de Manhattan. Si nous ne nous attendions pas forcément à la grande poilade à la lecture de Scalps, jamais nous n’aurions pensé le réalisateur capable de réflexion, de mise en scène pensée et de construction narrative cohérente. Scalps tente d’offrir un ultime baroud d’honneur au western spaghetti en lui conférant des codes du western zapata (des westerns mexicains où la lutte des classe servait souvent de toile de fond), des codes du western américain (la figure indienne est peu courante dans le cinéma italien) et des codes du revenge movie sans passer par la case du viol (même si on en n’est pas loin à certains moments). Mattei s’est fait aider de son fidèle compère Claudio Fragasso pour offrir un film honnête qui semble posséder un budget dérisoire, mais qui transpire l’envie d’un travail bien fait. Scalps prouve que Bruno Mattei avait une vision d’auteur autre que ses délires cocaïnés sur fond de stock shots de son époque Virus Cannibale. Scalps est une vraie surprise où la violence permanente laissera poindre, de manière surprenante, de vrais moments d’accalmies où la douceur et la poésie trouveront une petite place. Pour autant, Scalps ne démarre pas des meilleures manières et son introduction laisse craindre le pire. Mattei introduit ses soldats avec des dialogues vulgaires, où le surjeu régnera en maître et où le trop plein n’est jamais assez. Scalps nous plonge violemment dans son univers et le massacre de la tribu indienne est sanglante comme jamais. La séquestration de Yari laisse penser que Scalps peut déraper à tout moment dans le rape and revenge scabreux à la manière d’un Aldo Lado plagiant Wes Craven dans La Bête Tue de Sang Froid en 1975. Seulement, il n’en sera rien, Mattei compte bien exploiter l’aspect vengeresse de son héroïne, mais refuse de la livrer en pâture à ses soldats fascinés par l’expression « avoir des couilles au cul ». De là à dire que Scalps dépeint une homosexualité refoulée de ses troupes sudistes, il n’y qu’un pas que nous ne franchirons pas.

Dans son second acte, Scalps prend le temps de poser ses cadres et le rythme devient plus lancinant. Bruno Mattei s’attarde à nous immerger au cœur de la relation qui sera nouée entre Matt et Yari. Et c’est dans ce genre de séquences que l’on retrouve tout le savoir-faire de l’industrie italienne pour ce qui est de la construction des rapports entre deux mondes que tout oppose. Ce n’est pas une figure originale du western spaghetti que de faire vivre un marginal avec une indigène dans un lieu hostile afin qu’ils trouvent le but qui les lient et qu’ils fassent front commun pour enrayer la menace. Seulement, il faut saluer la parfaite alchimie qui opère entre l’énigmatique Vassili Karis et la sublime Mapi Galan. Les deux acteurs font des étincelles ensemble et offriront l’une des plus belles séquences du film, la séquence où Yari offre un serpent à manger à Matt pour lui faire comprendre qu’elle l’accepte et le désire. Point d’orgue du second acte, l’union des deux héros les fait entrer dans un troisième acte résolument violent et graphique où Mattei convoque les meilleures scènes extrêmes que le western spaghetti ait jamais connu. La figure de martyr dans laquelle il place Matt qui est ligoté par des crochets à la poitrine et avance tel le Christ portant sa croix inclut, non seulement, les obsessions religieuses propres aux italiens, mais également une bascule dans l’histoire obligeant Yari à prendre une position de femme forte. Et la manière dont Yari se métamorphose en héroïne est très révélateur du cinéma post #metoo que nous vivons actuellement. En choisissant de ne pas humilier la femme par un viol qui n’aurait rien apporté de supplémentaire dans sa légitimité vengeresse et de la faire devenir une guerrière ultime malgré tout, Mattei prend parti pour une mise en valeur d’une femme libre de tout : libre de ses propres choix, de sa propre route, de son propre destin. Et rien que pour cela, Scalps vaut le coup d’être vu malgré un sérieux ventre mou au milieu de métrage.

S’il ne révolutionne pas le western spaghetti, Scalps démontre, toutefois, que Bruno Mattei était capable de faire de bonnes choses. Scalps est un film qui saura être dignement accueilli par tous les amateurs du genre. Quand bien même il regorge de défauts (notamment du point de vue de son rythme), son amour de la femme forte lui confère un capital sympathie qu’on ne peut pas nier. De plus, le film est disponible dans une édition blu-ray entièrement remasterisée chez Le Chat Qui Fume qui nous offre l’opportunité de le voir dans une copie absolument magnifique. Ce serait dommage de s’en priver, non ?

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