Robert Mulligan : Début phare d’une carrière mésestimée.

Robert Mulligan a réalisé son dernier long-métrage, Un été en Louisiane, en 1991. Il mettait alors la lumière sur la toute jeune Reese Whiterspoon trouvant là son premier rôle au cinéma, quelques années en amont de l’adaptation révélatrice de l’actrice pour une génération d’adolescents 90′ des Liaisons Dangereuses par Roger Kumble aux côtés de Sarah Michelle Gellar et Ryan Philippe (son futur mari) dans Sexe Intentions.
Robert Mulligan, pour sa part, n’a jamais pris la lumière. Il l’a même plutôt évité toute sa carrière, longue d’une cinquantaine d’années à Hollywood. Il a réalisé des grands classiques du cinéma américain, mais son nom est cité par peu de connaisseurs. Au mieux il ressort du bout des lèvres de temps à autre dès qu’une nouvelle génération explore le cinéma avec assiduité. On doit à Mulligan des films comme Une Certaine Rencontre, Le Sillage de la Violence, Du Silence et des Ombres ou encore Un été 42 avec la magnifique Jennifer O’Neill. Il a travaillé deux fois avec Steve McQueen, deux fois avec Gregory Peck et tout autant avec Natalie Wood. Des stars à l’affiche de ses films, des collaborations avec les plus grands metteurs en scène au scénario comme son ami proche Alan J. Pakula, mais le bienfait de Robert Mulligan au cinéma américain reste encore aujourd’hui d’une discrétion insolente.
Éléphant Films a l’excellente idée d’exhumer trois titres – d’ores et déjà disponible en DVD & Combo Blu-Ray – du metteur en scène produit par la Universal au début des années 1960 signifiant le début de la carrière de Robert Mulligan après avoir officié avec talent sur les directs à la télévision américaines. Après deux premiers films pour la Paramount que sont Prisonnier de la Peur avec Anthony Perkins et Karl Malden, puis Les Pièges de Broadway avec Tony Curtis, il officie pour la Universal à partir de 1961 pour Le Roi des Imposteurs.

Le Roi des Imposteurs  : Film emblème d’une carrière polyvalente et talentueuse.

En 1961, Robert Mulligan signe à la Universal pour une série de commandes où il va commencer à imprimer son style sous-jacent. Pour ce premier film, la star Tony Curtis, qui sort alors de Certains l’aiment Chaud de Billy Wilder, continue à vouloir se travestir en incarnant Ferdinand Waldo Demara Jr. Ce personnage ayant bien existé est un gentil imposteur qui connut plusieurs vies remarquables comme directeur de prison, psychologue, médecin dans la NAVY canadienne ou encore professeur des écoles. Sur le même schéma d’Attrape-moi si tu peux de Steven Spielberg, Robert Mulligan conte les diverses aventures du personnage comme des saynètes amusantes et enlevées comptant sur le talent de son comédien principal. Le Roi des Imposteurs est une véritable réussite par un rythme incessant et une compréhension absolue des pérégrinations d’un homme resté enfant suite aux déboires de ses parents dans son enfance.

Mais ce qui nous intéresse avec ce film est, en dépit du fait d’être une commande, le reflet confondant de la carrière qui s’annonce pour son metteur en scène. La vie du personnage incarné par Tony Curtis est une fuite en avant où il imprime chaque élément important pour réussir à s’imposer dans chaque rôle emprunté. Par exemple lorsqu’il embarque pour la Corée avec la NAVY canadienne, l’homme est interpellé pour opérer le commandant d’un mal de dents. Le temps de lecture de la page concernée d’un livre, il saura anesthésier (par chance et insistance) son patient et lui enlever la dent sans dommage. Plus tard également quand le bateau recueille des blessés coréens, il réitère ses exploits en opérant 19 patients lors d’une même nuit, et cela en pleine tempête ! Succès et reconnaissance qui amèneront à sa chute inévitable, tant l’homme fait preuve d’une compréhension immédiate des bases pour s’imposer dans son rôle.
Ce qui adviendra de Robert Mulligan dans son rôle de réalisateur qui s’évertuera à ne jamais réaliser deux fois le même film. Le réalisateur s’essaiera à tous les styles et à toutes les formes appréciant particulièrement le drame et la jeunesse en n’y explorant jamais la même face et en ne le travaillant jamais de la même façon. Des films se répondent forcément, notamment les deux films avec Steve McQueen qu’il réalisera coup sur coup ou notamment Le Rendez-vous de Septembre qui trouvera écho 17 ans plus tard avec Même Heure, L’Année Prochaine avec Alan Alda et Ellen Burstyn.

Le Rendez-vous de Septembre  : Beauté d’Hollywood pour une Jeunesse en fleur

En 1961, Robert Mulligan enchaîne également avec une autre commande pour la Universal mettant en vedette Gina Lollobrigida et Rock Hudson. Vaudeville en plein cœur des côtes chaudes de l’Italie pour une comédie romantique enlevée, Rendez-vous de Septembre est une commande basique pour Mulligan. Le film est l’occasion pour lui de travailler avec la star de l’époque, Rock Hudson, mais surtout Gina Lollobrigida, merveilleuse et pulpeuse comédienne qui trouve l’écrin spécial pour resplendir au contact de Robert Mulligan.
Commande franche, Rendez-Vous de Septembre laisse peu de libertés à ce cher Robert. Opposition de la star Rock – avec lequel Mulligan s’entendra parfaitement – et une jeunesse libre batifolant sur les routes italiennes, la commande permet au réalisateur de porter un premier regard sur la jeunesse américaine ici symbolisée par une troupe de jeunes Américains typiques conduite par Bobby Darin. Le jeune homme est alors au début de sa carrière de crooner à succès, star des années 60/70, oublié depuis dont le film permet également d’éclairer une prestation surjouée. Le film sert à merveille sa morale conforme aux valeurs américaines faute au Code Hays, à savoir le respect des femmes et des rapports conjugaux dans la tradition du 7e art de l’époque. 

Le Rendez-Vous de Septembre raconte les mésaventures du richissime industriel américain Robert Talbot, arrivant beaucoup plus tôt qu’en septembre comme à son habitude dans sa villa de la Riviera italienne pour passer tranquillement ses vacances d’été, va de surprise en surprise : il découvre que son majordome Maurice profite de son absence pour louer lucrativement la villa comme hôtel, celui-ci étant justement occupé par une bande d’étudiantes américaines surexcitées chaperonnées par un parangon de vertu qui va perturber les rendez-vous amoureux de Robert avec son amie de cœur Lisa, qu’il fréquente un mois par an lors de ses vacances en Septembre. Celle-ci, qui s’apprêtait à épouser un autre homme, lassé de ses éternels rendez-vous annuels, succombe encore une fois au charme de son amant arrivé de façon inopinée en juillet. Mais l’arrivée d’un groupe d’étudiants mâles en quête d’aventures féminines va encore compliquer la situation : Robert se fait un devoir de protéger la vertu de « ses jeunes filles pensionnaires » en leur serinant qu’il n’est pas gratifiant de céder à la facilité. Cette morale parvient aux oreilles de Lisa qui, ulcérée, décide de quitter Robert qui ne lui a jamais parlé de mariage. À l’issue d’une course-poursuite, Robert rattrapera Lisa pour enfin l’épouser.

Comme toute comédie romantique qui se respecte, nous avons le droit à la sempiternelle course finale au cœur d’une gare (et non l’aéroport habituel !) avec Lisa en robe de Mariée s’époumonant à rattraper le personnage de Rock Hudson. Tout rentrera dans l’ordre pour une proposition solaire, divertissement parfait pour un dimanche pluvieux d’hiver en compagnie d’un couple magnifique alors au paroxysme de leur beauté respective. Comment une femme ne peut succomber à ce Rock dans le film ou un homme frétiller face à la beauté ensorcelante de Gina, magnifique Lollobrigida ??

L’Homme de Bornéo  : Au Coeur des Ténèbres 

Quelques mois à peine après la sortie de Rendez-vous de Septembre, Robert Mulligan retrouve Rock Hudson pour un nouveau projet s’imposant de par son contrat à la Universal. L’Homme de Bornéo stupidement intitulé en France, ou plus convenablement The Spiral Road pour un long-métrage d’aventure exotique au scénario sinueux et fastidieux. Le film se cale dans la mouvance des films d’aventures de l’époque adaptant Jan De Hartog suivant un jeune médecin débarquant aux Indes Néerlandaises devenant l’assistant d’un professeur spécialiste mondial de la Lèpre. Rock Hudson est ce médecin ambitieux souhaitant apprendre de ce docteur Jansen et ainsi lui voler son travail et ses recherches. Le chemin vers la gloire sera bien plus tortueux. Robert Mulligan ne se laisse jamais guider par son scénario aux multiples personnages focalisant son objectif sur cet homme orgueilleux et vaniteux qui va se confronter à ses propres convictions. Si The Spiral Road met du temps à dévoiler ses intentions malgré le portrait intéressant d’un homme anti-conformisme et frondeur, la dernière partie est brillante voyant Drager (Rock Hudson) se perdre lui-même dans cette forêt tropicale par arrogance. Par ce récit, Mulligan conte la quête de soi d’un homme brisé par son enfance pastorale. La clef du film est dévoilée au détour d’un échange avec sa femme incarné par Gena Rowlands à la jeunesse lui procurant des bons airs de Mia Wasikowska. Cela en est même confondant parfois, en tout cas flagrant pour une jeune actrice loin de John Cassavetes et pourtant investie comme une femme aimante et forte auprès de Rock Hudson.

Robert Mulligan surprend avec ce film d’aventure aux relents de Joseph Conrad. Un récit dur d’homme perdant pied au cœur de cette jungle humide et pestilentielle où la maladie rôde dans tous les coins. Rare incursion du type dans la carrière de Mulligan qui trouvera la gloire et la reconnaissance quelques mois plus tard avec Du Silence et des Ombres. L’homme de Bornéo s’effacera dans l’ombre de son grand frère, voire s’oubliera longtemps, commande d’un studio dont le réalisateur s’est occupé pour montrer ses valeurs de technicien pour mieux avoir les mains libres pour produire ensuite l’un de ses chefs-d’oeuvre. Mulligan est en cela une projection de Drager essayant de prouver ses capacités face à la vieille garde qu’est Jansen dans le film et atteindre la reconnaissance de ses pairs. Ce qui sera le cas, The Spiral Road sortant en août 1962 quand Du Silence et des Ombres sortira au cinéma le 25 décembre 1962 avec le retentissement que l’on sait. La carrière de Robert Mulligan peut enfin commencer, quelques Oscars sous le bras, pour l’amener ensuite vers Une Certaine Rencontre avec Daisy Clover, un Eté 42 comme paroxysme avant L’Autre et Un été en Louisiane pour conclure une carrière riche et passionnante à découvrir et partager pour perdurer la mémoire d’un réalisateur important de cette époque.

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  1. Édito – Semaine 4 -

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