Bruno Reidal : Sous le soleil du Cantal

Décidément le dernier Festival du Film de Cannes nous promène de belle surprise en belle surprise, qu’il s’agisse de la Compétition Officielle ou des catégories annexes, certes moins médiatisées mais néanmoins très qualitatives. Autre concurrent potentiel à la Caméra d’Or (prix récompensant le meilleur premier film de la sélection, également convoité par le très beau Un Monde de la belge Laura Wandel et le saisissant Rien à Foutre présenté lui aussi à la Semaine de la Critique, ndlr), Bruno Reidal de Vincent Le Port retrace avec précision et stylisation rigoureuse un fait divers datant du début du XXème Siècle et tenant lieu dans une région reculée du Cantal : l’assassinat de sang-froid d’un jeune adolescent d’une douzaine d’années par Bruno Reidal, un séminariste âgé d’à peine 17 ans à la fois studieux, taciturne et visiblement coupé de ses affects qui – nous l’apprendrons dès les premières minutes du métrage – s’est de lui-même constitué prisonnier suite à son geste criminel et à priori incompréhensible un beau soir de 1er septembre de l’an 1905.

Tourné un peu partout dans la moitié sud-provinciale de l’Hexagone (dans le Cantal principalement, mais également dans l’Aveyron, le Lot, la Haute-Vienne et même une partie de la Saône-et-Loire…) ce portrait d’un tueur sanguinaire dérange à plus d’un niveau, à commencer par l’étonnante empathie que Vincent Le Port cherche à nous inspirer à l’égard de cet adolescent plutôt froid, sans charme et sans charisme aucuns. Au gré d’une voix-off proférée par le personnage-titre (au demeurant superbement écrite, dans un français châtié mais pleinement crédible dans le même mouvement de brillance) évoquant les sentiments désertiques, exsangues d’émotion et/ou d’humanité du séminariste, Bruno Reidal nous place perversement aux côtés d’un psychopathe, de façon d’autant plus choquante qu’il s’agit d’un mineur à la vie sexuelle empreinte de forte culpabilité (le réalisateur nous fait partager à maintes reprises ses séances de masturbation effectuées mécaniquement, souvent réveillées par des désirs de mort, de crime et de sang) et au calme apparent couvant une barbarie que l’on ne soupçonnerait pas de prime abord… L’allure terne et placide toute à la fois de ce véritable anti-héros se voit littéralement porté par le choix judicieux du jeune et méconnu Dimitri Doré, comédien dont la prestation taiseuse en apparence, mais agitée intérieurement (le monologue intrinsèque à la voix-off ne nous épargne aucune des pulsions ni aucun des fantasmes du personnage) nous captive tout du long. En outre la lumière diurne et rayonnante des images, sublimant de somptueux décors naturels (vallons, champs, prairies ou encore fermes paysannes) instaure un tranchant contraste avec la violence psychologique de Bruno : c’est à la fois efficace, soutenu dans son rythme délibérément tranquille et esthétiquement beau et horrifique in fine.

Vincent Le Port a sans doutes une tendance un tantinet réductrice à la psychologisation de son sujet, cherchant à expliquer le comportement de cet être humain partageant bon nombre de points communs avec le Pierre Rivière du film de René Allio tourné dans le courant des années 70 (Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère… film à la portée toutefois davantage documentaire que le métrage dont il est ici question, ndlr) : regard introspectif similaire, sujet quasiment identique et capacité à saisir l’identité des régions bucoliques de la France profonde pour mieux effectuer un décalage déconcertant avec l’horreur des faits. Proche de la confession, mais sans honte ni remords en paradoxe, le témoignage de Bruno Reidal nous glace le sang tout en suggérant le revers de la sévérité cléricale, le séminariste semblant pêcher par excès d’austérité et de rigidité scolaire. À noter en outre une photographie sublime suscitant rapidement l’immersion et un usage parcimonieux de la musique, notamment quelques pièces du répertoire néo-classique d’Olivier Messiaen. Une belle découverte.

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