Vitalina Varela : où gît votre dernier soupir…?

Pedro Costa : un Cinéma qui tient de l’apparition, de l’épiphanie, de la fulgurance ; une filmographie traversée d’absences, d’ombres et de fantômes, de choses « qui ont été mais qui ne sont plus ». De son remarquable premier long métrage O Sangue à son chef d’œuvre Dans la chambre de Vanda en passant par les somptueux En avant, jeunesse! et Ne change Rien le cinéaste portugais n’a eu de cesse de construire une Oeuvre visuellement dense doublée d’une exigence certaine, travaillant le réel comme un authentique matériau plastique susceptible d’accueillir les figures invisibles inhérentes à son imaginaire. Suite à une rétrospective initialement prévue au Jeu de Paume du jardin des Tuileries en mars 2020 puis finalement avortée pour les raisons sanitaires influençant déjà depuis un certain temps notre quotidien nous avons enfin pu découvrir le dernier long métrage de Pedro Costa, dont la sortie en salles est annoncée en ce début d’année 2022 : le lapidaire et saillant Vitalina Varela.

À l’instar de Dans la chambre de Vanda et En avant, jeunesse! (deux films mettant en scène respectivement les figures de Vanda Duarte et de Ventura) Vitalina Varela dépeint sous une forme quasi-documentaire une version fictive de son héroïne-titre. Strict récit du deuil de ladite figure revenant sur les traces de son mari défunt dans les bas-fonds d’un quartier pauvre de Lisbonne trois jours après son enterrement Vitalina Varela montre l’actrice cap-verdienne dans toute sa simplicité de non-professionnelle : stoïque, gracieuse et massive la femme est sublimée par la caméra de Costa, le réalisateur filmant son visage comme un intarissable continent, un formidable roman d’aventures. Tour à tour profondément typique et atypique (dans la mesure où le film est à la fois tout ce qu’il y a de plus ibérique et d’étrangement apatride dans le même temps, puisqu’il se concentre sur la figure déracinée de Vitalina, séparée de son mari cap-verdien depuis plus de 25 ans en amont du métrage…) le nouveau film de Pedro Costa s’ancre derechef dans les ghettos lisboètes, près de vingt ans après les visions terrifiantes de Dans la chambre de Vanda : il ausculte, à hauteur d’homme, des intérieurs décrépits et des rues obombrées, s’affranchissant miraculeusement de tout misérabilisme et de toute complaisance.

Au son comme à l’image Vitalina Varela a pour principe le sens absolu de la captation. Si le cadre est fixe imperturbablement la caméra et la perche enregistrent chaque parcelle de pénombre, chaque alvéole de lumière, chaque micro-variation sonore à la manière d’une éponge hypersensible… Pedro Costa en tire un résultat paradoxalement sublime, cultivant ses images sous-exposées et ses sons crachotant au diapason d’un rythme maturant leurs beautés. En montrant tout Vitalina Varela remporte le pari inespéré de laisser une place considérable au mystère de son récit, jouant sur la rémanence de la figure disparue que constitue le mari de la cap-verdienne ; chaque venelle, chaque chambre et chaque décombre se voient littéralement habités par le trépassé, Pedro Costa rendant gloire au célèbre adage de Paul Klee : « l’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ».

On retrouve également la figure de Ventura déjà présente dans En avant, jeunesse!, ce dernier incarnant un prêtre accompagnant l’héroïne dans sa traversée mortuaire, femme perdue dans une succession de plans à la composition redoutable proche du clair-obscur. Le métrage, peu bavard et souvent abrupt dans ses propriétés filmique s’avère de toute évidence entièrement représentatif du cinéma de Pedro Costa : un Art à la fois surnaturel et hyperréaliste brouillant la frontière séparant la fiction du documentaire, voyage laconique tout en aspérités certaines : c’est à voir, absolument.

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