Annette : L’Oscar-Axe

Cannes – 6 juillet 2021. Intérieur soir. Quelque part entre 20h et 23h, dans la salle pratiquement comble du cinéma L’Olympia, les spectateurs assistent à la projection du film d’ouverture du 74ème Festival du Film Cannois présenté dans la foulée de la cérémonie inaugurale présidée par Doria Tillier. L’actrice et animatrice de la soirée dont il est ici question nous a quelques minutes auparavant gâté d’un discours vantant les mérites de la magie du Septième Art, magie opérée avec ce qu’il faut de sueur et d’efforts techniques, de pertes, de découpages et de récupérations post-productifs ou encore de gestions figuratives laborieuses, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige… Phrases toutes faites mais lourdes de sens au regard du sixième long métrage de Leos Carax, poète maudit du cinéma français habitué à la controverse intrinsèque à sa brève mais passionnante filmographie, auteur de quelques véritables chefs d’œuvres décuplant à eux-seuls les possibilités de l’Art cinématographique, notamment le bohémien Boy Meets Girl, le flamboyant Les Amants du Pont-Neuf, mais surtout le terriblement mesestimé Pola X également présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 1999, conte cruel et romantique qui avait littéralement désarçonné la Croisette il y a maintenant plus de vingt ans…

Ce film, ce sixième Oscar parmi les Alex de l’enfant prodige (et prodigue) des audaces filmiques en tous genres c’est Annette, grandiose musical intégralement écrit, dialogué et chanté dans la langue de Shakespeare. À partir d’une intrigue vieille comme le Monde, proche du récit mythologique, Carax le caméléon nous offre, deux heures vingt durant, un spectacle d’une densité folle sur fond de déchirements passionnelles et de transmission artistique : on suit, perdu dans un concert d’images et de sons faramineux sans temps morts aucuns, le destin tragique de Ann la cantatrice mortifère et de Henry MacHenry le gorille mal léché, deux figures sous le joug délicieux des feux de la rampe d’un Broadway revisité. La première, chantant par-delà des décors livides baignés d’une lumière stellaire, aime profondément le second. Lui poursuit sa carrière d’humoriste aux blagues de mauvais goût, exsudant la testostérone et la nicotine entre deux régimes de banane. Il s’aiment, un peu, beaucoup, tellement… au point d’accoucher d’une petite fille donnant son nom au film de Leos, curieuse marionnette ne pipant mot tout du long – ou presque.

Si Holy Motors (le précédent film du réalisateur sorti il y a neuf ans désormais, ndlr) nous avait relativement déçu voire ennuyé sur la longueur en raison du caractère systématique de son concept et des limites d’un exercice de style plastiquement superbe et alléchant mais typiquement sclérosé in fine, Annette parvient admirablement à trouver son équilibre entre la dimension universelle et intemporelle de sa fable et la flamboyance de sa forme ; on retrouve du reste l’illustre Caroline Champetier au poste de chef opératrice, celle-ci perpétuant le style pompier, très « ligne claire » du précédent film de Leos Carax pour mieux le transcender (on distingue à nouveau des références aux aventures de Tintin de Hergé présentes depuis Boy Meets Girl, principalement au détour de la séquence centrale de la croisière dont nous tairons ici les péripéties…). Et si Marion Cotillard (Ann) et Adam Driver (l’infâmeux Henry) offrent de solides prestations empreintes de glamour et de cinégénie, la bande-originale savamment expérimentale composée par le groupe Sparks permet d’obtenir d’étranges décalages, transformant le classicisme relatif d’Annette inhérent au scénario en un objet artistique élégamment déviant et résolument bizarre… les chansons (chansonnettes) réservant quelques formidables instants de lyrisme certes faciles (le syndrome La La Land n’est pas loin, le film de Carax partageant avec celui de Damien Chazelle une certaine propension à l’esbroufe et/ou à la virtuosité creuse) mais diablement efficaces sur la durée.

Il est évident que ce nouveau film se vit comme une expérience de cinéma d’une profonde générosité, proposant en permanence de nouvelles formes sans jamais perdre de vue la symbolique de sa fable. Adam Driver s’avère idoine, impeccable en artiste mal famé au faciès serti d’aspérités ; Marion Cotillard, figure incontournable de la frenchy aux portes de la gloire hollywoodienne depuis La Môme d’Olivier Dahan en 2007, exécute honorablement la tâche. Comme tout grand film musical qui se respecte, Annette tient de la pièce cinématographique entièrement fabriquée, composée de bout en bout : artifices des lumières, des décors et des effets spéciaux, anti-naturalisme des (nombreux) passages chantés présentant parfois des séquences un rien anodines… Il faudra sans doutes, pour apprécier a minima le dernier Carax, accepter les ressorts arty de sa mise en scène et la ténuité de son argument narratif. Annette n’en demeure pas moins un grand moment de spectacle prestigieux doublé d’une vraie gueule de cinéma, sans doutes moins authentique que ses premiers longs métrages possédant l’insolence de la jeunesse (Boy Meets Girl, Mauvais Sang) mais en tout point maîtrisé d’un point de vue technique. Fascinant.

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  1. Édito – Semaine 29 -

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