Sound of metal : Echange avec l’équipe du film.

À l’occasion de la sortie de Sound of Metal nous avons eu la chance de nous entretenir avec une partie de l’équipe du film, Nicolas Becker l’ingénieur du son, Darius Marder le réalisateur, Riz Ahmed l’acteur principal ainsi que Mathieu Robinet fondateur du studio de distribution du film, Tandem.

Riz, tu as pu écouter et pratiquer ton français durant le tournage. Quel est ton niveau de français maintenant ?

Riz (en français) : C’est comme ci comme ça. J’ai appris le français à l’école et j’ai beaucoup envie de travailler en français. Et j’espère que Nicolas peut donner mon CV aux réalisateurs français. Mais j’ai déjà travaillé avec Jacques Audiard et Jean-Jacques Annaud, donc le prochain sera peut-être en français.

Sound of Metal pourrait être le miroir de ce qui s’est passé l’année dernière, en 2020. L’année où l’on vit dans sa bulle, éloigné des autres, avec des dialogues parfois impossibles et de grandes difficultés de communiquer avec les autres. Auriez-vous imaginé le film dans cette idée ?

Darius : C’est intéressant parce que c’est un microcosme vraiment profond au quotidien. Vivre cette expérience d’attente face à une force que rien ne peut contrôler, une crise sanitaire que nous ne pouvons pas maîtriser, qui nous frappe si nous nions son existence. La ressemblance entre le film et la situation est remarquable et profonde. En ce moment, il ne s’agit que de s’accepter soi-même. C’est ce que je vis, je ne voyage pas, je ne m’amuse pas vraiment, il n’y a pas de fêtes, pas de verres, pas de moyen de se regarder dans les yeux une fois qu’on a vu le film. Tous les amusements habituels, qui sont en fait liés à l’égo, n’existent plus. Mais ce qui est en train de se passer, c’est que les gens sont en train de vivre ce que tu décris. Pour la première fois dans ma vie, nous sommes obligés, à une échelle globale, de vivre avec nous-mêmes, avec la solitude et la grande abysse. Je ne sais pas si j’échangerai ce moment, ce film, même pour toutes les choses que nous ratons.

Nicolas :  Ce projet est rempli de tant d’humanité. On était tous très proches, il y avait beaucoup d’émotions. C’est vrai que c’est difficile de continuer sa vie enfermé dans un studio sans pouvoir se connecter vraiment aux gens. C’était très étrange mais ça recommence un peu. Je suis en train de refaire des enregistrements, et je me sens revivre. Le film est très ouvert, il y a beaucoup de place laissée au spectateur pour réagir, pour mettre ses émotions dedans. Je pense qu’il est comme un miroir, du fait qu’il soit si libre d’interprétation.

Darius : Est-ce qu’au fond nous n’avons pas tous trouvé Ruben en nous au fur et à mesure que nous faisions le film ?

Nicolas : Bien sûr.

Nicolas, je me demandais dans quelle mesure vous aviez pu créer l’ambiance sonore, si impactante et primordiale dans le film, durant le tournage ? Je pense notamment aux scènes parisiennes.

Nicolas : Nous savions dès le départ que le son du film devait être supra diégétique, que tout soit le plus réel possible. Donc très vite j’ai pensé à des procédés, et avant même qu’il me rencontre, Darius avait en tête que les acteurs devaient jouer pour de vrai leur propre musique. Olivia Cooke et Riz Ahmed se sont beaucoup entraînés pour pouvoir vraiment jouer d’une manière cinématographique. C’était très important d’installer l’idée que tout ce que l’on écoute et voit est brut et vrai. Même si le son est parfois reconstruit, cela part d’un original de ce qui avait été enregistré pendant le tournage. Tout est très contextuel car j’ai voulu être proche de l’idée de Darius, d’avoir une approche documentaire. Même dans les effets que nous avons fait avec Riz, quand le son est étouffé, nous avons enregistré ces sons avec Riz, avec des appareils et des micros branchés sur son crâne, dans sa bouche. Nous avons essayé de créer une fiction d’une réalité.

Mathieu : Et Riz devait jouer avec des choses dans les oreilles ?

Nicolas : Oui, Darius a eu l’idée de simuler la surdité pour qu’il puisse vivre cette condition. Le film est puissant car il y a un engagement physique. Le son que Riz entend est un conglomérat de beaucoup de sons. Mais une grande partie du film est comme cela, tout le film est une expérience, une sorte de voyage. C’est quelque chose dans lequel il fallait être engagé physiquement. Et je pense que Sound of Metal s’adresse au sens et à l’esprit, mais aussi au corps.

Darius : J’adore cette manière de le dire. D’ailleurs nous ne laissions pas Riz entendre sa propre voix, ce qui est différent encore de ne plus rien entendre, d’avoir un bruit blanc ou un acouphène.

Nicolas : C’est la première fois de ma vie que je faisais du bruitage pour un acteur anglophone et l’engagement a été beaucoup plus grand. En France, on a cette culture de parler, de transmettre des émotions sur le visage. Pour les acteurs anglais, le corps est beaucoup plus engagé dans le jeu. Cela a permis au film d’exister, du fait de cette culture du jeu.

La représentation de la diversité au cinéma est un sujet de plus en plus central. Sound of Metal s’adresse à la communauté sourde. Riz, que ressentez-vous vis à vis de cela ? Sentez-vous que l’on vous propose d’autres types de rôles ?

Riz : C’est intéressant car je pense que c’est un film qui fait avancer la représentation de la communauté sourde au cinéma. Ce n’est pas quelque chose que je constate, mais que j’entends de la part de cette même communauté. Elle se représente d’elle-même. Tous les acteurs et actrices sourds dans le film le sont dans la vraie vie. Il y a beaucoup d’improvisation, de moments très authentiques, notamment la scène du dîner. Ce sont des moments que l’on n’a jamais vu sur un écran, alors que cela représente parfaitement ce que peut être un dîner dans une famille sourde. Ce n’est pas du tout silencieux, c’est même bruyant car tout le monde essaie d’attirer l’attention de l’autre en tapant sur la table. Ce sont toutes les choses annexes, très intuitives qui ne peuvent pas être inventées. Je me sens privilégié de faire partie d’un projet où la communauté sourde se représente elle-même et pas d’une manière manichéenne, mais d’une façon riche et complexe, à leur image. Il y a beaucoup d’expériences différentes dans la surdité : surdité tardive, les gens nés sourds, ceux et celles qui ont un implant cochléaire, ceux et celles sans, ceux et celles qui parlent et qui signent. Et c’est exactement ce qu’est la communauté sourde. Je pense qu’en terme d’identité politique, on se trompe parfois de combat en se disant que c’est notre travail de devoir se battre pour la représentation des acteurs, etc. Quand on étend les cultures, c’est une victoire pour tout le monde. Même un film comme Crazy Rich Asians est une victoire. Le but de faire tomber ces barrières est de réussir à se dire que les notions de « nous » et « des autres » n’existent plus, au profit juste d’un « nous ». Pour cela, il faut susciter l’empathie, et s’identifier avec les personnages sourds du film, ce qui serait une vraie victoire humaine pour toutes et tous. Sur la question des rôles que l’on me propose : mon expérience peut porter à confusion, et il ne faut pas se contenter d’un cas particulier mais regarder le général. Et le général nous montre qu’il y a encore beaucoup de trajet à faire, en particulier sur la représentation des personnes originaires de l’Asie du Sud Est et du Moyen-Orient et des femmes, en particulier celles de couleurs. Cette tendance systémique d’absence de représentation doit être corrigée. À mon niveau, je suis mon parcours particulier. J’ai eu de la chance et des cadeaux, et Sound of Metal était un vrai cadeau.

Y a-t-il une histoire derrière les tatouages de Ruben ?

Darius : Il y a eu toute une réflexion pour arriver à ces tatouages. J’avais demandé à Riz de vraiment s’impliquer sur le rôle mais je trouvais que c’était un peu beaucoup. Pour Riz, c’était une manière de rentrer dans le rôle. C’est une référence à la culture punk plus qu’à la culture métal mais quelques-uns sont très métal. Riz a travaillé avec Sean Powell, un ancien batteur et addict ayant une vie assez extraordinaire. Sean a été en quelque sorte le modèle de Riz pour le film.

Riz : Sean, du groupe Surfbort, était effectivement mon mentor. Darius m’a mis en contact avec lui. Il était dans un groupe avec sa conjointe et il est couvert de tatouages. Ce qui m’intéressait le plus avec les tatouages était le fait d’avoir écrit sa propre histoire sur son corps. Les tatouages sont une manière de représenter sa vie, voire même de les marketer sur soi-même. Ce qu’ils représentent est réel, tangible et un souvenir. Certains des tatouages de Ruben viennent de Sean, d’autres viennent d’idées que nous avions eu avec Darius. Pour moi, les tatouages sont également une tentative de garder quelque chose de soi-même quoiqu’il arrive. C’était très important pour nous de montrer que Ruben gardait un sens de lui-même qu’il a créé. Et à la fin du film, il ne peut plus se pavaner avec tous ces tatouages qui le définissaient. À la fin, même s’il est habillé, il est plus nu que jamais. C’est étrange de se rendre compte que la tentative de définir qui tu es échoue. La vie redistribue les cartes, et il n’est pas possible d’arriver avec son propre jeu tatoué sur le corps.

Darius : Oui, et j’adore cette scène quand Ruben couvre ses tatouages, c’est en fait la première fois qu’il voit le clown qui est tatoué sur son dos. Dans le film, c’est la seule fois où l’on voit ce tatouage hideux. Dans un sens, c’est aussi un moment où l’on se rend compte qu’il n’y a pas besoin de cacher son identité.

Riz : L’ancien soi est supprimé.

Le film a été tourné en quatre semaines, ce qui le rend brut. Est-ce que cela a influé sur la construction de votre personnage, Riz, et sur la manière dont vous vouliez raconter votre histoire, Darius ?

Darius : Le meilleur moyen de faire un bon film est d’avoir des contraintes et je pense que la liberté est parfois inadaptée, ou que ce n’est pas de la liberté au sens strict. Quand on a des contraintes, il faut travailler pour remplir nos objectifs du jour. Il y avait des jours pendant le tournage où nous ne parvenions pas à remplir ces objectifs. Nous tournions d’une manière chronologique, et de fait très vivante. Tout le monde venait avec des intentions très fortes, car nous savions que si nous ne tournions pas maintenant, nous ne tournerions jamais. Il y avait quelque chose de très vivant là-dedans. Nous faisions de notre mieux. Nous avons tourné en 35 jours, sans pouvoir laisser tourner la caméra car nous tournions en pellicule. Il y a quelque chose avec le numérique où la contrainte de laisser tourner la caméra n’existe pas. Je pense que ce degré d’immédiateté est assez puissant car cela permet de savoir rapidement ce que l’on veut exactement et cela crée une énergie très puissante.

Nicolas : Je pense aussi que jusqu’à la fin, ce n’était pas que le tournage, mais aussi pendant le montage, ou la post-production. C’était quelque chose de très intense à chaque étape, que nous avons réussi à faire dans un planning si restreint.

Darius : Le mixage était six fois plus long que le tournage.

Nicolas : Pas seulement le mixage, le montage son aussi.

Darius : C’est vrai que nous avons passé beaucoup de temps sur le son, avec une intensité similaire car c’est ce que nous devions faire.

Riz : C’est vrai que toutes ces contraintes nous ont permis de nous concentrer et de nous engager.

Ruben a l’air presque animal dans ses actions, mais il a aussi l’air de ressentir beaucoup de choses complexes. Comment êtes-vous parvenu à maintenir cet équilibre dans votre jeu ?

Riz : C’est amusant que tu parles de cet équilibre car nous en avions parlé avec Darius. nous pensions que ce déséquilibre que ressentait Ruben était beaucoup plus effrayant, mais aussi plus libérateur. Je pense vraiment qu’à chaque fois que l’on choisit un rôle, on apprend en tant qu’acteur la même chose que le personnage apprend. Si on fait un film sur la parentalité, on apprendra quelque chose sur son rapport avec ses enfants ou même sur sa propre enfance. Ruben doit apprendre que le contrôle de soi a des limites. On ne peut contrôler qu’une partie de sa vie. Il compartimente beaucoup sa vie car s’il n’a pas cette structure, il retombe dans son addiction. Darius et moi avons ce travers aussi. Cette sorte d’essence commune. Nous souhaitons vivre notre vie à fond et faire le plus de choses possible, mais cela veut dire contrôler beaucoup de choses. Le tournage a été très condensé. Darius a envié l’idée de rendre les choses aussi brutes et réelles que possible, malgré le fait que nous nous étions préparés en amont et que j’ai passé 7 mois à apprendre la batterie que nous allions tourner en quelques prises. Ce cocktail nous a permis ce déséquilibre. On ne pouvait pas contrôler ce qui se passait. C’était très important de se laisser aller à cet instinct. C’est ce que Ruben vit, ce déséquilibre. C’était l’approche que nous voulions à la fois pour le film et pour ma performance d’acteur. Dans l’idéal, c’est ce que tout acteur devrait faire mais ce n’est pas souvent que l’on a l’occasion de collaborer et de se mettre dans des conditions précises, avec une confiance régnante pour se permettre ce déséquilibre. 

Nicolas : Pour moi c’était très surprenant car Darius est dans le contrôle à toutes les étapes : préparation, tournage, post-production. Ce qui était impressionnant c’est qu’il veut utiliser le plus d’outils possible pour raconter une histoire d’une manière complexe. J’ai été impressionné de voir qu’il pouvait jongler avec autant de choses pour une première fiction.

Travailler sur la batterie avec Guy Licata a-t-il été difficile ? Est-ce que cet apprentissage t’a permis d’enrichir tes performances scéniques quand tu rap ? Est-ce que cela a changé ton approche en tant qu’artiste ?

Riz : La première fois que j’ai rencontré Darius, il m’a dit qu’il voulait que nous jouions tous de la musique pour de vrai, donc je devais apprendre la batterie. C’est un mélomane, comme moi, et il me disait qu’il détestait la triche du cinéma. Nicolas en parlait tout à l’heure avec le son diégétique, et sur le fait qu’il voulait qu’il soit authentique. C’était très effrayant et très excitant à la fois. Une des choses que j’aime le plus à propos du travail est d’apprendre de nouvelles choses, d’entrer dans de nouveaux mondes et sous-cultures, tous ces genres de musique avec lesquels je n’étais pas familier pour être franc. Mais en plus de tout cela, je voulais apprendre la langue des signes américaine parce que Ruben atteint un point où il parvient à signer couramment cette langue. J’ai saisi cette chance et c’était excitant comme objectif au départ et puis c’est devenu effrayant et difficile quand j’apprenais et à la fin, je me suis dit que c’était l’un des plus grands cadeaux que l’on m’avait jamais fait. Il y a toujours un cadeau dans ce genre de défi que l’on se lance. Je disais tout à l’heure que l’acteur et le personnage finissaient toujours par vivre des choses similaires. J’ai appris quelque chose que Ruben a appris : les défis sont le cadeau. La perte d’audition de Ruben est un cadeau dans le sens où cela lui permet de se rapprocher des autres et de lui-même plus qu’il ne l’a jamais fait. Pour moi, le défi était d’apprendre la langue des signes et la batterie, ce qui m’a permis de m’ouvrir en tant qu’acteur. Nicolas parlait tout à l’heure de différents styles de jeux. L’approche anglaise est beaucoup plus intellectuelle et basée sur le texte, car nous avons ce passé du théâtre Shakespearien. La méthode anglaise est d’analyser le texte, les mots. Mais quand on joue un personnage comme Ruben, on ne parle pas beaucoup, et parfois cela ne suffit pas. Surtout qu’il ne peut pas entendre ce que les gens lui disent. Donc il faut écouter avec tout son corps, communiquer avec tout son corps. Apprendre la langue des signes et la batterie sont des moyens de communiquer d’une manière non verbale. Cela a été tellement enrichissant en tant qu’artiste et en tant qu’humain. Je conseille à toutes les personnes qui peuvent avoir l’opportunité d’apprendre la langue des signes de le faire car ce n’est pas quelque chose que l’on regrette. La langue des signes permet d’apprendre des choses que l’on ne peut littéralement pas formuler à l’oral, et cela reste pour toujours.

Tu continues à jouer de la batterie ?

Riz : Non, et je pense que c’est le côté tragique du métier. On a la possibilité de vivre toutes ces vies, mais on doit apprendre très vite à faire autre chose pour un autre rôle. Mais les leçons de Guy Licata et Jérémy Stones vont rester avec moi pour toujours.

J’ai lu que tu aimais beaucoup le scénario. Qu’est-ce qui t’a le plus attiré dans ce rôle ?

Riz : Écrire un scénario est très solitaire, et il faut maîtriser son propre univers pour écrire le scénario parfait. Il ne faut pas créer de compromis, sans céder à l’incertitude, ce qui est l’essence même de la réalisation de films. Il est possible de ne pas savoir communiquer avec ses acteurs, ne pas avoir la vision la plus claire. Darius avait ces trois talents, surtout grâce à la vision si claire qu’il avait de son œuvre. Il a pris des choix difficiles et a décidé de se battre pour. Par exemple, dans le choix de tourner en pellicule. Il dépassait les limites, mais il laissait aussi la porte ouverte pour des collaborations, et laissait l’opportunité de prendre les rênes. C’est vraiment très rare d’avoir cette combinaison. Je ne savais pas tout cela quand j’ai lu le scénario, mais ce que j’ai vu dedans était l’élégance et la confiance de quelque chose qui se sait émotionnellement riche mais si discret dans son écriture. Ce qui est ressorti du scénario c’est le fait que c’était juste vrai. Quand j’ai rencontré Darius, j’ai compris l’énergie derrière le projet, et je pense que Nicolas pourrait dire la même chose. Il n’y a rien de plus enivrant que ce genre de collaboration et je trouve ça extraordinaire de vivre ça quelques fois pendant une carrière.

Darius, pourquoi as-tu choisi de filmer une partie du film en France ?

Darius : C’est une question intéressante. Cela m’a pris du temps dans l’écriture d’atteindre cette vérité, l’élément français. J’ai eu une révélation après avoir rencontré Charlotte Gainsbourg il y a des années. Je travaillais sur le scénario et je parlais de ça. J’ai toujours été fascinée par les Gainsbourg, Serge et l’aura qu’il dégage autour de lui. Il est effectivement relié au personnage de Mathieu Amalric. Tout d’abord, les films français sont très importants pour moi et la France a ce statut de lieu à visiter culturellement exceptionnel. Il y a des éléments très spécifiques à la culture française qui devaient appartenir à cette histoire secondaire. Il n’y a pas d’autre culture que j’aurais pu montrer comme cela et qui auraient eu cette clarté. C’est quelque chose de presque ineffable, mais je voulais que Ruben se sente comme un alien, dans un autre monde auquel il n’appartient à aucun niveau. Et pourtant, il trouve une ressemblance avec le père d’une manière très étrange. Quand je travaillais avec mon frère, c’est devenu clair un instant qu’il fallait que ce soit la France, que ce soit Paris. C’est une culture que je voulais montrer car elle est totalement unique selon moi.

Comment s’est prise la décision de ne pas sous-titrer les parties en langue des signes ?

Darius : C’est un film à la première personne, donc cela te demande d’être dans un espace qui est celui de Ruben. Cet espace dédié signifie que l’on ne peut pas être plus intelligent que Ruben. Il y a un statut culturel en faisant cela, bien sûr, car cela met les personnes qui regardent le film dans une position de minorité, comme l’est Ruben. Il y a eu beaucoup de films faits pour les sourds, mais ils sont souvent plébiscités par les personnes sourdes. J’espère que ce film parviendra à avoir une place et à être regardé par plus de monde. C’est une expérience fascinante car les personnes entendantes luttent vraiment et se demandent : « Pourquoi je ne sais pas ça ? », or c’est ce que les personnes sourdes vivent tous les jours et tout le monde s’en fiche. Donc, bienvenue dans cette sensation. 

Tu as dis avoir travaillé sur le film avec ton frère, peux-tu en dire plus sur la manière dont vous avez écrit et travaillé ensemble pour raconter cette histoire ?

Darius : C’était vraiment cool de travailler avec mon frère, il est impliqué dans le film de pleins de façons. Il a travaillé à la composition de la musique avec Nicolas, et passé beaucoup de temps à travailler avec nous sur le son au Mexique. Il a vraiment travaillé profondément à la fabrication de ce film. Mon frère est un grand conteur, et un poète. Il est celui à qui je parle tout le temps quand j’ai des idées. J’écris toujours quelque chose et je lui parle toujours car je sais qu’il me comprend. Il a un très grand sens des histoires. C’est vraiment un être pur. Un jour, après avoir galéré avec le scénario pendant plusieurs années, j’étais en train d’aller le voir et je louais une maison dans laquelle j’allais travailler. Je lui ai dis : «Je n’arrive pas à être seul, tu ne veux pas venir jouer de la musique pendant que j’écris ?». On a préparé ses affaires, il est venu, on a commencé à cuisiner, à parler et ça ne s’est jamais arrêté. C’était limpide, on devait faire les choses ensemble et je l’ai embarqué dans cette aventure fantastiquement compliquée.

Pourriez-vous nous parler de votre collaboration avec Olivia Cooke ? 

Darius : Olivia s’est greffée un peu tard dans le processus. Sincèrement, ça a été un miracle de la trouver. J’étais un peu perdu dans le casting, pour être franc, et je n’arrivais pas à trouver le personnage de Lou. Elle était de passage pour un jour ou deux à New-York et quelqu’un m’a parlé d’elle. Je ne connaissais pas du tout son travail. Nous nous sommes rencontrés et au bout de 10 minutes de conversation j’ai su qu’il y avait quelque chose de vivant en elle. Une connexion à Lou qui était très intense. Tellement que ça en devenait presque effrayant. C’était exactement ce que je recherchais pour le personnage. J’étais très inspiré par notre rencontre et comme le disait Nicolas, c’est souvent comme cela que ça fonctionne. La collaboration à partir de là était fascinante. Olivia est très différente de Riz dans sa méthode et pourtant étrangement reliée. Tout est plus enfoui, elle a une méthode délicate et profonde pour incarner un rôle. A la fin du tournage, j’avais un profond respect pour sa manière de faire et son instinct pour jouer à des positions inconfortables et transcendantales. Je l’ai vu en elle et je suis vraiment reconnaissant qu’elle soit arrivée sur le projet.

Riz : J’ai l’impression que c’est la meilleure tout simplement, en tant qu’actrice mais aussi en tant qu’être humain. Elle est très drôle mais c’est aussi une personne en or. J’ai eu 7 mois pour me préparer à ce film, elle n’a eu que 6 semaines. Je n’aurais pas pu demander une meilleure partenaire de jeu.

Darius : Je pense que le fait d’avoir dû apprendre à jouer de la musique ensemble à eu un impact profond sur votre relation de jeu. Ce groupe s’est formé de manière viscérale et un peu effrayante. 

Riz : On était jeté ensemble dans une équipe contre le monde. Je pense aussi que le fait qu’on soit 2 anglais pour jouer des américains a rendu ce travail encore plus profond. C’est aussi lié à la manière de travailler de Darius, qui se veut aussi authentique que possible. Ce n’était pas ce genre de film où tout le monde retourne à sa loge après le tournage. On était dans une caravane, on mangeait là-bas, même si on y dormait pas, on y passait tout notre temps, on vivait là-bas. Lorsqu’elle prend l’avion et me dit au revoir, ce sont de véritables adieux. Elle quitte le tournage à ce moment-là et je ne la revois plus. Cela rend la relation encore plus concrète et c’est grâce au travail de Darius.

Merci infiniment à l’équipe pour son temps et sa participation à cette interview. Merci à l’équipe de Tandem d’avoir pu nous accorder son temps et cette entrevue.

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