Douce France : Gonesse part au ski

Voici une nouvelle preuve que le cinéma documentaire est aujourd’hui un cinéma incontournable et la manière la plus actuelle de transmettre des idées et des histoires. C’est à travers celui-ci désormais que les informations passent et non plus à travers la fiction, trop souvent et trop facilement gangrenée par le divertissement et la soif de retour sur investissement. Aujourd’hui, il y a des documentaires où au simple titre vous savez que vous entrez dès maintenant dans un inconnu que même National Géographic ne saurait vous présenter.

Si le documentaire est aujourd’hui le plus souvent la principale force d’opposition politique, on l’a vu récemment avec Un pays qui se tient sage ou Le Capital au XXIe siècle, il est également là pour remettre au centre de l’attention les plus importantes problématiques sociales et sociétales. Même au travers de documentaires comme Be Natural, The Music of Strangers ou The Real Swan, qui mettent avant tout une personnalité sur le devant de la scène et servent parfois même de carte de visite, il y a sans arrêt, en fond, une remise en question de l’évolution générale de la société. Et c’est exactement là que Douce France frappe.

En questionnant des jeunes de Gonesse sur l’intérêt de construire un gigantesque parc de loisirs et commercial, on questionne sur l’enseignement, son rapport aux nouvelles problématiques écologiques, sur la place des jeunes dans la société, l’exclusion progressive des métiers de la terre, la malhonnêteté croissante des élus locaux et les fraudes et manipulations qui en découlent, l’inversion des engagements politiques avec leur discours pour servir des intérêts tierces. Bref, si vous n’aviez encore jamais entendu parler d’EuropaCity, voilà que vous savez jusqu’à quel point son existence est contraire à toutes les normes écologiques et économiques auxquelles chaque citoyen essaie de se soumettre, pendant que des gens de pouvoir continuent d’agir dans le sens inverse, au nom de l’écologie. De quoi décourager les plus fervents acteurs de l’environnement.

Douce France est réalisé par Geoffrey Couanon, auteur réalisateur ayant plusieurs métiers à son actif. Ce sont ses diverses expériences qui l’ont amené sur le chemin du documentaire qu’il exerce maintenant depuis quelques années. Ce qui est intéressant avec les documentaires, c’est de voir à quel point ils peuvent adopter toutes les formes et transmettre tous types de messages, du plus atypique et personnel au plus fédérateur et populaire. Ici, il y a ce rapport entre le triangle de Gonesse, une terre agricole se situant proche de la région de Gonesse et dont seuls les habitants pourraient à priori se sentir investis, et le projet EuropaCity, pour certains surnommé le « Dubaï français » dénaturant intégralement l’idée même de territorialisme sur laquelle la politique française semble pourtant vouloir se construire.

Ce que dévoile Douce France, au delà d’une belle référence à Charles Trénet, réside dans la mise en lumière limpide du fonctionnement de la politique française régionale aujourd’hui. Des projets faramineux, développés et construits dans le secret le plus total. Un paradoxe qui démontre également à quel point les gens semblent détachés de la vie communale, et plus largement de leur communauté. C’est ce désintérêt général qui permet aux élus locaux, entreprises et lobbyistes de faire avancer leurs pions et de gagner de l’argent au détriment d’autrui sans que personne ne s’en aperçoive. En se désintéressant, les citoyens permettent l’élaboration de tels projets sans nécessité de rendre des comptes. On le voit bien lorsque les élèves interrogent des jeunes de la cité, ces derniers découvrent tout d’un coup et comprennent après quelques échanges que cela s’est décidé comme s’ils ne faisaient pas partie de l’équation. C’est tout de même paradoxal de se dire que ce sont les citoyens qui participent à la vie de la ville et qu’ils ne sont jamais consultés dans les décisions importantes de la communauté.

La raison pour laquelle Douce France est un documentaire important réside dans le contraste de son sujet. Comment un projet de construction aussi conséquent en bordure de la région parisienne peut-il passer aussi inaperçu des citoyens de la région ? Entre un désintérêt des habitants de la vie en communauté et la sournoiserie des élus ainsi que des grands patrons, on comprend vite qui en tire le plus rapidement profit. Sous couvert de créations de nouveaux emplois, de projets respectant soi-disant l’écologie et annonciateurs d’une économie en hausse, tous les arguments paraissent plus mirobolants les uns que les autres pour une réalité nettement plus triste et contestable. Surtout au détriment de la perte d’emplois stables sur la longue durée et d’un appauvrissement des terres, par exemple. Aujourd’hui, seuls quelques marginaux comme Trump sont contre l’écologie, les autres sont simplement suffisamment intelligents pour lui mettre n’importe quel argument pitoyable sur le dos histoire de mieux faire passer la pilule. Ces vendus seraient prêts à nous expliquer que rouvrir des mines à charbon lutte contre le réchauffement climatique. Plus les ambitions pécuniaires sont d’envergure, plus les moyens déployés pour y parvenir sont contraires à l’éthique. Même si certains paraissent mineurs ou très orientés, l’importance de se renseigner et de regarder des documentaires est primordiale. Douce France ne paie pas de mine de prime abord, et pourtant la raison de son existence est tellement fondamentale. Cela rappelle également à quel point la curiosité et la vie de la ville sont importants à suivre et à se renseigner. Si on accepte aujourd’hui un tel projet dans notre pays, demain le Burj Khalifa remplacera la tour Montparnasse, voilà de quoi nous alerte le long métrage de Geoffrey Couanon.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*