Hiroshima : L’horreur contre l’oubli

Il y a des films dont l’intérêt va bien au-delà du divertissement. Il y a des films qui mettent un point d’honneur à nous rappeler les atrocités dont l’être humain est capable et qui effectuent un devoir de mémoire précieux. Hiroshima, réalisé en 1953 par Hideo Sekigawa est de ceux-là. Edité par Carlotta Films et disponible depuis le 28 avril dernier en blu-ray et DVD, Hiroshima est une œuvre dure mais dont la découverte est essentielle. Produit et distribué de façon totalement indépendante par le syndicat des enseignants japonais, le film est l’un des premiers à évoquer de façon aussi frontale l’horreur de la bombe atomique et de ses séquelles sur le long terme, encore tues et relativement ignorées dans le Japon du début des années 50. A l’époque le film fut évidemment censuré et il est resté quasiment invisible depuis. C’est donc une belle rareté (et dans une copie magnifique, à l’exception de quelques plans qui n’ont pu être remasterisés) que Carlotta a dénichée.

Le visionnage de Hiroshima est difficile. Si la première partie est légèrement didactique avec son professeur découvrant parmi sa classe des élèves souffrant des séquelles de la bombe atomique, la deuxième bascule dans l’horreur. Sans appel, nous sommes plongés dans le passé, en cette fatidique journée du 6 août 1945. Il fait beau, chacun vaque à ses occupations, des enfants jouent. Et la bombe survient, dévastant tout sur son passage, laissant derrière elle ruines et cadavres jonchant les rues. Les survivants errent dans les rues d’un air hagard, en guenilles, ne réalisant pas ce qui leur arrive. Tout le reste du film va s’employer à montrer l’horreur et ses conséquences de façon détaillée.

On comprend aisément pourquoi Hiroshima n’a pu qu’être produit de façon indépendante et pourquoi il est resté rare depuis sa sortie : rarement une œuvre n’avait abordé aussi frontalement, et sans emphase, l’horreur dans son expression la plus pure. Hideo Sekigawa ne recule devant rien pour la montrer mais l’amoncellement des scènes choquantes n’est jamais gratuit, venant au contraire offrir un portrait complet de la tragédie vécue par le japonais dont les répercussions étaient encore présentes au moment où le film était réalisé : mise au ban des personnes ayant été exposées à la radioactivité (ce que montrera également très bien le Pluie Noire de Shohei Imamura), maladies tels que cancers et leucémie se déclenchant, lésions physiques et psychologiques, immense sentiment de deuil et d’incompréhension face  à une horreur commise par d’autres être humains. Une horreur que le monde serait bien content d’oublier et que Sekigawa nous renvoie en pleine figure.

L’horreur contre l’oubli, pour se souvenir et se dire que non, plus jamais un tel acte ne sera commis. Mais même ça, le cinéaste n’y croit pas. Alors que son film part pour se terminer sur une procession en faveur de la paix et qu’on pense que Sekigawa va apaiser les consciences, il livre une dernière séquence glaçante. Sur Hiroshima et ses ruines se lèvent des centaines de personnes, victimes de la bombe, préfigurant les zombies de Romero. Ils sont toujours là et semblent nous dire que la violence humaine ne s’arrêtera pas là. Sekigawa avait raison : si jusqu’à présent, aucune autre bombe atomique n’a été lâchée sur une ville remplie d’innocents, les actes de l’être humain, dans ses inlassables guerres ont prouvé que la paix n’était qu’un mince filament d’espoir, trop fragile pour être préservée. Pas étonnant dès lors qu’on sorte du visionnage du film lessivé mais tout de même heureux d’avoir découvert une fiction précieuse et rare dont le visionnage devrait être obligatoire dans les écoles, aux côtés de Nuit et brouillard d’Alain Resnais. Resnais qui d’ailleurs réalisera six ans plus tard Hiroshima mon amour, l’autre grand film sur Hiroshima. Mais ceci est une autre histoire…

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