Les Indestructibles : Le pouvoir du mérite

Avec la sortie des Indestructibles 2, quel meilleur prétexte pour se replonger dans ce premier opus qui a bien failli ne pas voir le jour, si ce n’est par le concours de John Lasseter, qui insista auprès de Disney pour son ami Brad Bird ? Le succès fut au rendez-vous, et fit sortir son réalisateur de l’ombre. Les Indestructibles reste encore aujourd’hui une valeur sûre de la figure super-héroïque et de ce que l’on peut en tirer. Sorti avant la déferlante MCU et consorts, le film d’animation jouit de cette liberté pré-Marvel, où la moindre décision d’écriture ou de mise en scène n’est pas phagocytée par le bulldozer des blockbusters. Un comble, lorsque l’on sait que tout ce beau monde vient de la même écurie.

La date mise à part, c’est aussi la présence d’un auteur comme Bird qui change totalement la donne ici. Le récit et ses figures classiques sont avant tout traversés par des thématiques objectivistes, qui lui sont chères et que l’on retrouvait déjà dans Le Géant de Fer et ensuite avec À la poursuite de demain. En effet, on suit le parcours de Robert Parr, alias M. Indestructible, superhéros forcé de raccrocher par de nouvelles lois en vigueur. Désabusé, il ne sauve plus que quelques clients de son entreprise d’assurance, en toute discrétion. Comprimé par son environnement, ce que la mise en scène nous rappelle fréquemment avec justesse, il est forcé de rentrer dans le rang et d’y rester pour préserver sa famille. Les « supers », ceux qui ont des pouvoirs, n’étant plus aussi bien vus qu’avant par l’opinion publique. Robert est tiraillé à chaque instant par son combat intérieur, il se doit de rester cette masse amorphe qui s’empâte, avec sa grise mine de rigueur. Ne serait-ce que pour donner l’exemple à ses enfants, leur ordonnant de ne pas utiliser leurs dons (« ne l’encourage pas » lui intime sa femme alors qu’il approuve le comportement considéré comme insolent de son fils). « Fais de ton mieux » est le leitmotiv mensonger d’une méritocratie factice, où les enfants, même exceptionnels, sont si surprotégés, qu’ils ne savent plus comment réagir à une situation inédite.

Le poids de cette médiocratie pèse différemment sur chacun des membres de la famille (sauf Jack-Jack, le nouveau-né ressort comique, caution mignonne et sujet d’un court métrage rien qu’à lui), ne produisant que frustration sur eux. On ne s’y trompe pas alors qu’arrive Syndrome, le super vilain, fanboy de M. Indestructible, éconduit à l’époque où il voulait être son sidekick. Il est lui aussi une facette de ce que peut produire cette société castratrice. Un personnage plus intéressant et complexe qu’il n’y paraît, avec sa logique de vengeance tarabiscotée (faire de tout le monde des « supers » avec ses inventions pour que ces derniers n’existent plus), rongé par le rejet, il est effectivement un pur rebut malgré lui de cette époque perdue. Et ça ne s’arrange pas quand il constate qu’on lui prête attention seulement quand il représente une menace.

En plus de cela, la richesse thématique (à laquelle on peut rajouter le vigilantisme ou encore la question de la responsabilité) se paie le luxe d’être suffisamment enrobée, pour que chacun y trouve son compte. Les pistes réflexives sont ébauchées au détour d’une réplique, ou d’un jeu de mise en scène, si bien que chacun y prend ce qu’il veut. Le rythme de l’aventure, une fois celle-ci au cœur de l’action, est trépidant, les trouvailles formelles où les capacités de la petite famille vont de concert sont ingénieuses (notamment les scènes d’Elastigirl où les animateurs s’en sont donnés à cœur joie). Brad Bird, qui double Edna Mode, s’amuse comme un petit fou, Samuel L. Jackson cabotine comme à son habitude, le reste du casting quant à lui, livre une performance honorable. Pas d’origin story usante non plus ici, ce qui semble être de nos jours une obligation scénaristique. Elle aurait été d’une lourdeur superficielle, sans apport pour l’œuvre dans son entier, on admet le cadre de départ et c’est tout, pas de midichloriens ou autres justifications lourdes. Robert est un bon gars, Robert est exceptionnel et Robert veut sauver des vies, c’est ce qui l’en empêche qui nous intéresse ici, ni plus ni moins. Côté humour, les blagues sont fugaces pour ne pas casser le rythme, l’utilisation des codes du genre (un simple masque autour des yeux cache l’identité des héros) est bienveillante, on lorgne du côté du film d’espionnage avec ses clichés amusants comme le monologue du bad guy et une bande son jazzy signée Michael Giacchino, omniprésente et toujours de bon ton. Bon nombre d’ingrédients, qui font des Indestructibles un film riche à bien des égards.

En se concentrant sur son message et ses thématiques, en prenant les supers héros comme un outil et non une fin en soi, Brad Bird signe un long-métrage qui gagne à être (encore plus) connu, au vu de la production actuelle. En épousant les clichés, en se les appropriant, en les réutilisant avec un but autre que la simple forme, il évite de tomber dans ce qui deviendra l’écueil habituel, la soupe que l’on nous sert depuis 10 ans. Il est amusant de constater que le film est à l’image de ses héros : un exemple à suivre, un phare au milieu d’un océan de médiocrité.

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