La nuit des rois : La nuit, les aveugles sont rois

En plaçant une intrigue au milieu de la seule prison d’Abidjan et l’une des plus peuplée de l’Afrique de l’ouest, La Nuit des rois nous promet une production singulière. Et ça ne manque pas, Philippe Lacôte, avec ce titre rappelant la pièce de théâtre du dramaturge anglais, nous propose une production aux antipodes de nos canons habituels. Une production dans laquelle on retrouve Denis Lavant, toujours fourré là où on l’attend le moins, ainsi que Bakary Koné qui joue Roman, Steve Tientcheu dans le rôle de Barbe Noire ou encore Issaka Sawadogo. Dans une prison surpeuplée d’Abidjan, Barbe Noire renoue avec un rituel morbide pour rasseoir son autorité. Durant une nuit, un prisonnier, Roman, se doit de raconter une histoire. À son terme, libre à vous de découvrir le sort qui lui est réservé.

Beaucoup de films ont des qualités intrinsèques différentes. Celui-ci est une véritable leçon de narration. On y retrouve un véritable phrasé théâtrale rappelant les plus grands de leurs époques. Ce langage soutenu et ancien mélangé aux dialectes d’Abidjan et subtilement ajusté avec un langage plus courant donne lieu à une puissance d’écriture impressionnante. Sur la forme, le film est une vraie masterclass. Passionnant, beau, les acteurs semblent dans leur élément. En racontant son histoire à travers des flashback, Roman propose une leçon de comment bien conduire son scénario et bien servir la narration. L’histoire semble commune aux premiers abords et pas forcément passionnante. Pourtant très vite on se prend au jeu et on boit ses paroles avec toute l’attention du monde. Pourtant, même la mise en scène semble convenue, il parle à l’assemblée comme un véritable conteur d’histoire. Mais en réalité, tout ce conte est ponctué de petits moments improvisés par d’autres prisonniers qui jouent et simulent des scènes de temps à autres en incarnant des intervenants de l’histoire, des animaux, des chants, des situations. Comme si nous assistions à une pièce de théâtre d’improvisation. D’ailleurs parmi ces prisonniers dans l’histoire, certains en sont vraiment tandis que beaucoup sont des danseurs, acrobates ou encore pratiquants d’arts martiaux.

Quelque part, il s’agit de la plus belle version d’une adaptation de contes possible. Le média cinématographique répond parfaitement à toutes les attentes du grand écran. Mais en plus il conserve les plus beaux aspects de son média d’origine en y incorporant naturellement une vision personnelle de son auteur. On se retrouve avec des dialogues bien écrits et une dimension théâtrale extrêmement juste. Avec un profond respect du genre d’origine et une intelligente vision de son propos, on se retrouve avec un film vraiment captivant. Pourvu d’enjeux, de rebondissements et d’une belle proposition de mise en scène, il s’agit d’un long-métrage à la fois surprenant et émouvant. Les personnages sont rapidement attachants, y compris les gardiens de prisons qui semblent rester en retrait de l’histoire. Leur éloignement signifie forcément quelque chose et traduit probablement d’une tare de la prison en question. Mais en toile de fond, cela reflète un mal-être plus universel de la société qui semble prompte à établir des instances de justice et se retrouvent rapidement dépassé par la hiérarchie de gang qui s’y installe. Chacun fait sa loi et la nuit, les aveugles sont rois.

Au final, même si l’intrigue semble orientée, elle apparaît comme beaucoup plus universelle et intemporelle qu’on ne le pense. Réussir aussi adroitement à mêler le genre théâtrale au cinéma dans un contexte apparemment aussi éloigné et différent force le respect. Pour une histoire aussi précise et intime que celle-ci semble l’être, il s’agit d’une belle tentative d’avoir réussi à rendre l’histoire aussi complète et contemporaine. Le jeu d’acteur quant à lui apparaît comme juste et saisissant. Le film ne sera pas à la portée de tous, il reste particulier dans sa démarche. Mais son efficacité est indéniable.

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