Jardins de Pierre : Hors-champ d’honneur

Huit ans. C’est le nombre d’années séparant deux des films les plus complémentaires de la carrière prolifique de Francis Ford Coppola, deux études pratiquement différentes du conflit ayant opposé le Vietnam aux États-Unis d’Amérique dans le courant des années 60-70 : d’une part l’incontournable Palme d’or du Festival de Cannes 1979 répondant au nom de Apocalypse Now, film de guerre véritablement opératique aux prétentions métaphysiques clairement assumées par le réalisateur de la trilogie du Parrain, et d’autre part le confidentiel et méconnu Jardins de Pierre sorti en salles en l’an 1987, film-élégie de petite mine troquant le terrain miné et nimbé de napalm de ladite Palme pour une fresque intimiste tenant lieu non loin du cimetière militaire d’Arlington en Virginie, au crépuscule des années 60… Disponible depuis le 17 février 2021 en Blu-Ray et DVD aux éditions Carlotta, Jardins de Pierre bénéficie donc aujourd’hui d’une nouvelle jeunesse, honteusement incompris voire oublié des cinéphiles lui préférant régulièrement et injustement les envolées wagnériennes et les délires mystiques de Apocalypse Now ; un film mineur sans doutes, réfutant toute forme d’esbroufe et de spectaculaire, mais nous réservant une fable proprement poignante sur les retombées fatales de la Guerre, quel qu’elle soit : une réflexion tout en retenue sur l’honneur patriotique et sur l’inéluctabilité de la mort, sort inévitable pour tout un chacun quand bien même les héros seraient de la partie…

Dès les premières minutes Francis Ford Coppola annonce la couleur de son beau métrage : Jardins de Pierre sera sobre, développera sans tapages ni pétarades la psychologie d’une poignée de personnages ancrés stricto sensu hors-front, comme condamnés à garder le pays. Narrant le parcours tragique de Willow, une jeune bleusaille désireuse de gagner le terrain, mais vouée à se former auprès du sergent Hazard dans le camp de Fort Myer ce drame est de fait moins un film de guerre qu’un film sur la guerre. C’est avec une édifiante économie de moyens que Francis Ford Coppola retrace le destin de cet idéaliste consacrant son existence au service de la Patrie, explorant avec nuances et tendresse l’intimité d’une réserve militaire. Tout dans Jardins de Pierre semble avoir été réalisé sous le signe d’une bienveillante servitude pour son Sujet : photographie discrète mais superbe de Jordan Cronenweth (déjà responsable de la lumière chatoyante du très surestimé Peggy Sue s’est mariée l’année précédente…), musique perlée de Carmine Coppola mêlée de fanfares funéraires et de cordes pudiques, académisme assumé et totalement justifié de la mise en scène de Francis Ford Coppola, susceptible de mettre en valeur le script élégamment adapté du roman de Nicholas Proffitt…

À noter également la prestigieuse générosité du casting retenu par l’auteur de Apocalypse Now : entre un James Caan définitivement sympathique insufflant une féroce humanité au personnage du sergent Hazard, une Angelica Huston impeccable en journaliste pessimiste mais réaliste ou encore un D.B. Sweeney attachant en jeune Willow, les interprètes de Jardins de Pierre portent en grande partie la timide réussite du film sur leurs épaules. Coppola montre, suggère les blessures, les limites mais aussi les aspirations de chacune de ses figures en apposant un regard profondément humain sur celles-ci ; il montre l’Homme à sa juste hauteur, fort et faible dans le même temps, nous épargnant les lourdeurs et autres effets pompeux de Apocalypse Now pour mieux user d’une finesse psychologique clairement régénératrice. Il en résulte un film simple au sens noble du terme doublée d’un désenchantement pour le moins prégnant : un film à réhabiliter d’urgence !

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