Sacrées Sorcières : Une formule pour les exterminer tous

Robert Zemeckis est le genre de réalisateur extrêmement fascinant à décortiquer. Il a été l’instigateur de tas de rêveries cinéphiles. Il a accompagné l’enfance d’un nombre incalculable de bambins depuis le milieu des années 80. L’avantage de la plupart de ses films est qu’ils s’adressent à un public large. Ils parlent et plaisent à n’importe quel âge. Il y en a pour tous les goûts, que ce soit les voyages dans le temps de Marty et Doc dans Retour Vers Le Futur, l’histoire fascinante de Forrest Gump, les étranges messages extraterrestres de Contact ou encore l’enquête loufoque d’Eddie Valiant dans Qui Veut La Peau De Roger Rabbit ?
Quand bien même les années 2000 ne lui ont pas permis de garder son espèce d’aura intouchable, il va sans dire qu’un nouveau Zemeckis demeure tout de même un événement. Le voir revenir vers un cinéma familial en adaptant un ouvrage culte de Roald Dahl (précieux écrivain pour n’importe quel enfant) ne pouvait annoncer qu’un grand spectacle. Sacrées Sorcières s’offre une nouvelle adaptation cinématographique et succède au (déjà très réussi) film de Nicolas Roeg sorti en 1990.

En 1967, un jeune orphelin emménage chez son adorable grand-mère, dans la petite ville rurale de Demopolis, en Alabama. Afin de fuir une sorcière voulant du mal au jeune garçon, sa grand-mère l’entraîne dans une somptueuse station balnéaire. Malheureusement, ils débarquent au moment même où la chef sorcière, la Grandissime Sorcière, réunit ses sbires venus du monde entier pour mettre en œuvre ses sinistres desseins.

Difficile de passer outre l’adaptation de 1990 tant elle aura contribué à notre enfance. L’interprétation d’Anjelica Huston reste parmi ses meilleures prestations. Jamais elle n’aura été aussi électrisante et redoutable à la fois. Figurant entre les figures de vilains qui ont sérieusement marqué notre imaginaire, nous partions avec un sérieux doute quant aux capacités d’Anne Hathaway à prendre la relève dans la peau de la cheffe sorcière. Non pas que nous remettons en cause ses talents de comédienne, nous la trouvons plutôt bonne actrice par ailleurs. Nous étions seulement dubitatif quant à ses capacités à se montrer aussi sexy que terrifiante. Au regard de ce que Zemeckis en tire, nous avons été plutôt satisfait. La vision qu’il porte à cette histoire se rapproche nettement plus de l’ouvrage original que le film de Roeg. Ce qui fait que le style d’écriture de Dahl est si intemporel réside dans sa capacité à rendre fascinant des univers fantastiques avec des mots simples. Il écrit ses livres comme on raconte une histoire à un enfant. De cette simplicité, Zemeckis entend en tirer toute la substantifique moelle. En dépit de ses aspects fantastiques (tirant légèrement vers l’horreur parfois), Sacrées Sorcières amusera autant les enfants d’une dizaine d’années que les parents. Robert Zemeckis déploie un univers coloré, interactif et amusant. Les couleurs dégueulent dans tous les sens, ça explose les rétines. C’est autant un atout qu’un défaut. Le film n’a pas eu l’effet escompté sur le territoire américain, laissant les critiques pantois face à l’objet. Ce qui ressort le plus dans le flot de critiques, c’est le fait que le film se montre très impersonnel. Il aurait pu être réalisé par n’importe qui, qu’il aurait exactement le même rendu. On se demande où est passé Robert Zemeckis. On ne peut totalement leur accorder ce reproche. Il y a du rythme et des idées de mise en scène propres à Zemeckis. Le réalisateur est loin de ses meilleures œuvres, c’est certain, mais il possède un atout de poids : la plume de Guillermo Del Toro. L’association Zemeckis et Del Toro (avec également Kenya Barris) pour le scénario confère à Sacrées Sorcières un ton, un rythme et une ambiance de conte bien particuliers qui rendent le tout parfaitement digeste.

En revanche, s’il y a une chose à déplorer, c’est la qualité discutable des effets visuels. Les CGI font vraiment datés. Bien sûr que le film se doit d’être grossier dans ses effets afin de ne pas traumatiser les plus jeunes (en ce sens, pas sûr que tous les enfants soient prêts pour voir la version de Roeg, Anjelica Huston hante encore nos cauchemars), mais on peut grossir les traits sans pour autant être moche. Quand on connaît la passion de Zemeckis pour les effets spéciaux et le soin qu’il a toujours apporté à proposer des films où il expérimente les dernières nouveautés, il y a de quoi être perplexe. On ne comprend pas pourquoi il n’a pas fait le choix de réels animaux pour certaines séquences, et notamment celui de ne pas avoir un vrai chat sur le plateau. Reconnaissons lui une belle séquence où le chat se balade sur les toits de l’hôtel, où, là, effectivement, le résultat est plutôt sympathique. La fluidité des mouvements de l’animal, le rendu des poil sous la pluie, tout est vraiment joli le temps de ces quelques plans. Mais cela reste bien maigre en face des autres effets vraiment grotesques. Parlons notamment de la fameuse séquence où les sorcières se dévoilent. Totalement dénué de plan absolument marquant (Anjelica Huston avec son nez crochu plaçait la barre tellement haute), il se dédouane de tout aspect horrifique uniquement dans le but de garder les jeunes yeux rivés sur l’écran sans risquer de créer un traumatisme. On comprend la démarche, on ne la salue pas pour autant. Seulement, impossible de décrier totalement la séquence. Là où Zemeckis se montre malin se joue sur les bords des cadres. Le réalisateur s’adresse directement au fan du film de Nicolas Roeg. Regardez bien les silhouettes qui se dessinent dans l’assemblée, la ressemblance avec les sorcières de Roeg est complètement flagrante. Cet hommage dissimulé fait extrêmement plaisir et vient jouer en faveur du capital sympathie pour le film. Disons-le clairement, Sacrées Sorcières est un film plus que correct. Un divertissement familial suffisamment qualitatif, qui aborde des thématiques comme le deuil, l’acceptation et le courage assez finement afin d’aider les jeunes têtes à s’identifier aux personnages. Et avoir un film qui ne prend pas les enfants pour des abrutis est devenu tellement rare aujourd’hui qu’il faut le souligner.

Sacrées Sorcières n’aura pas rencontré le succès sur son territoire. Les mauvaises critiques, son faible score au box-office et la crise du COVID auront eu raison de son exploitation chez nous. Privé de salle lors de la seconde fermeture des cinémas, Warner a finalement décidé de le sortir directement en vidéo par chez nous. Ainsi, il faudra se pencher vers le support physique ou la VOD afin de vous offrir votre séance familiale. Sacrées Sorcières est, probablement, le meilleur film de Robert Zemeckis depuis Le Drôle de Noël de Scrooge (Flight et The Walk sont trop surestimés à notre goût). Ce n’est pas dans le haut du panier de sa carrière, certes, mais c’est simple, efficace, divertissant et loin d’être bête. D’autant que le casting s’amuse comme jamais. Anne Hathaway qui en fait des caisses, on aime. Octavia Spencer est fidèle à elle-même. Comment ne pas aimer cette actrice ? Et Stanley Tucci et la voix de Chris Rock pour la narration finissent d’emballer l’ensemble pour une séance tout à fait satisfaisante. Le priver de la salle pourrait lui être bénéfique finalement. C’est trop « moche » pour totalement émerveiller sur grand écran, mais c’est tout à fait acceptable sur un écran de télévision. De toute façon, dès lors qu’il y a du Roald Dahl dans le texte, on ne peut pas être complètement déçu.

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