Jabberwocky : La première folie de Terry Gilliam

En ces temps de disette cinématographique, on peut heureusement toujours compter sur les éditeurs vidéo pour nous offrir un peu de réconfort avec des sorties toujours soignées. C’est le cas de Carlotta qui a sorti en Blu-ray et DVD (dans une très belle restauration 4K et une édition riche en bonus) Jabberwocky de Terry Gilliam, disponible depuis le 17 février dernier. Un film rare, enfin visible dans une copie décente où tout le cinéma de Terry Gilliam est déjà présent, lui pour qui c’était son premier long-métrage en solo après avoir déjà largement défini son univers au sein des Monty Python (dont le talent ne sera jamais assez souligné). Notons d’ailleurs qu’à l’époque, les Python étaient tellement célèbres que le film fut vendu sous le titre de Monty Python’s Jabberwocky et ce n’est qu’après des démêlés judiciaires avec les producteurs que le film retrouva son titre initial.

De fait, si Gilliam présente le film comme son échappatoire des Monty Python, Jabberwocky porte assez distinctement l’humour joyeusement déluré de la troupe, absurde et sans limites. On y trouve aussi Michael Palin au casting dans le rôle principal ainsi qu’une petite apparition de Terry Jones et de Gilliam en personne. Encore sous l’influence des Python (à qui il a de toute façon apporté beaucoup), Gilliam construit son premier long récit à partir d’un court poème de Lewis Carroll dont il capte l’essence pour donner vie à son univers. Jabberwocky porte déjà les marques du cinéma de Gilliam à venir : son amour de l’artisanat, son goût pour les univers décalés broyant l’individu, grouillant de vie avec à chaque fois un sens du détail forçant le respect pour un film ayant coûté 500 000 dollars. Le manque de budget est constamment comblé par l’inventivité sans failles du cinéaste qui sait utiliser le moindre bout de décor et le moindre figurant pour nous plonger dans un Moyen-Age crasseux où son héros, le jeune et naïf Dennis tout juste déshérité par son père, passe son temps à se faire passer à tabac, se faire uriner dessus ou recevoir des ordures en pleine figure.

Personnage rempli de candeur, ballotté de situations en situations sans avoir la moindre maîtrise de ce qui lui arrive, amoureux transi pour une femme le méprisant ouvertement (elle lui a jeté une patate pourrie lors de son départ du village et il garde précieusement la dite patate comme gage d’amour) et incapable d’être maître de son destin même quand il se transforme malgré lui en héros en affrontant le Jabberwocky du titre, Dennis est au cœur d’un récit picaresque haut en couleurs, où les péripéties et les rencontres improbables s’enchaînent sans que l’on puisse respirer.

Après Sacré Graal, Terry Gilliam semble ravi de retrouver le Moyen-Age et nous le présente sans détour : c’est sale, étonnamment gore (les victimes du Jabberwocky, les gerbes de sang lors des tournois, l’amant écrasé sous le lit), parfois délicieusement absurde (une épreuve de cache-cache lors du tournoi, un roi totalement déphasé) et tout le monde en prend pour son grade. Des paysans pauvres prêts à toutes les bassesses pour survivre, des fanatiques religieux trouvant leur salut dans des sacrifices dénués de sens, des chevaliers trop engoncés dans leur armure pour faire quoi que ce soit et un monarque régnant (littéralement) sur un royaume tombant en ruines, plus préoccupé par des tournois et des mises à mort qu’un salut économique, Gilliam se moque de toutes les classes sociales dont les préoccupations semblent être les mêmes : la nourriture, le sexe et la violence.

Jabberwocky est donc un récit d’une drôlerie absolue où les idées se bousculent, parfois décousues mais toujours réjouissantes. Non seulement Gilliam fait preuve d’un talent certain, qui ne fera que se confirmer par la suite, mais Michael Palin y fait une irrésistible composition, parfait dans le rôle du pauvre bougre se faisant marcher dessus, l’inverse de l’archétype du héros médiéval courageux embrassant sa destinée. Les moues déconfites de l’acteur, se faisant malmener de séquences en séquences, suffisent à justifier la découverte de ce monde joyeusement foutraque, aperçu du cerveau fourmillant d’idées d’un cinéaste qui pose là les bases d’un univers dans lequel se plonger est toujours un véritable plaisir.

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