Dumbo : Tu t’envoles, tu t’envoles !

A l’évocation de Tim Burton, on ne peut s’empêcher d’avoir de merveilleux souvenirs de cinéphile. Indubitablement le cinéaste a bercé notre enfance en la peuplant de superbes créatures imaginaires et a contribué à notre amour des monstres, notre compréhension du monde et de ses merveilleuses différences. Malheureusement, depuis qu’il est tombé dans l’escarcelle Disney avec Alice au pays des merveilles (qui reste à ce jour le pire de ses films), Burton semble n’avoir jamais retrouvé sa forme d’antan, s’attachant à des projets qui semblaient taillés pour lui sur le papier (Dark Shadows, Miss Peregrine et les enfants particuliers) sans parvenir pour autant à les transcender, ceux-ci se montrant joliment exécutés mais finalement terriblement fades. L’annonce de ce projet Dumbo, nouvelle adaptation live d’un classique de l’animation de chez Disney laissait craindre le pire vu les séquelles laissées par Alice au pays des merveilles. Et pourtant, avec cette belle fable sur un éléphant qui vole grâce à ses grandes oreilles, Burton prouve qu’il peut encore tenir quelques beaux moments d’inspiration, le film s’avérant être son plus réussi depuis Sweeney Todd !

Il faut dire qu’à y regarder de plus près, on comprend pourquoi le cinéaste s’est intéressé à Dumbo. C’est encore un personnage avec qui Burton peut se sentir proche, un être rejeté par les autres à cause de sa différence mais qui montrera au monde que celle-ci est sa plus grande force, une merveilleuse source d’émerveillement. La force du film est d’ailleurs d’aller bien au-delà du dessin animé. Celui-ci étant très court (1h05) et ne laissant guère de place aux humains, le scénario écrit par Ehren Kruger (capable du meilleur – Arlington Road – comme du pire – Transformers 2, 3 et 4) s’impose alors comme une véritable adaptation autour des thèmes abordés dans le film original.

On y retrouve donc Dumbo, cet éléphant aux oreilles démesurées né dans un cirque. Revenu de la première guerre mondiale avec un bras en moins (le film se déroule en 1919), Holt Farrier, autrefois grand performer d’un numéro avec des chevaux et récemment veuf, se retrouve obligé de s’occuper du petit éléphanteau tout juste séparé de sa mère à l’aide de ses deux enfants. Celui-ci ne tardant pas à montrer qu’il est capable de voler à l’aide d’une plume, il devient une sensation dans tout le pays. C’est alors que débarque V.A. Vandemere, patron sans vergogne du parc d’attraction Dreamland qui rachète tout le cirque juste pour avoir Dumbo en tête d’affiche…

Une véritable adaptation donc, la deuxième partie du film imaginant tout un pan du récit avec une certaine inventivité. Multipliant les clins d’œil au dessin animé (on y croise une souris habillée comme Timothée, un numéro de cirque fait directement référence à la chanson Pink Elephants et une réplique rappelle la chanson des corbeaux), Dumbo se voit comme une fable pétrie de tendresse, sur la différence et sur la nécessité de s’y intéresser pour y voir de la beauté. Rien de bien novateur me direz-vous mais le film tire une belle émotion de cet aspect, une émotion qui était absente des précédentes réalisations de Tim Burton. Ici visiblement à l’aise (les effets spéciaux sont superbes et Dumbo franchement réussi), le cinéaste n’en demeure pas moins fidèle à son style en proposant quelques touches purement burtoniennes au sein du film. On sent ainsi qu’il s’est fait plaisir à imaginer Dreamland, cet ersatz de Disneyland tenu par un mégalo, renfermant quelques attractions effrayantes à l’image de cette île du cauchemar, lieu de séquences très inspirées.

A travers le personnage de Vandemere, faux rêveur et vrai cynique, le film fait toute une charge féroce contre l’industrie du spectacle qui tue toute liberté pour bâtir son empire (ce qui est assez cocasse de la part d’un film produit par… Disney !) et en profite pour dénoncer les maltraitances contre les animaux, le mépris pour les artistes et le machisme ambiant. Dreamland devient ainsi le lieu concentrant le pire du monde de spectacle et si l’on élargit le spectre, de l’industrie du cinéma. Dumbo se pare ainsi d’une lecture peu subtile mais qui fait gagner le film en profondeur.

Il est cependant dommage que malgré toutes ces qualités, le film ne soit pas plus réussi. Si Tim Burton se montre parfois joliment inspiré, notons tout de même qu’il est loin de tutoyer à nouveau les sommets. Son film se montre ainsi d’une étonnante facilité sur bien des aspects, notamment la direction d’acteurs. Si l’on excepte Colin Farrell et les jeunes Nico Parker (fille de Thandie Newton) et Finley Hobbins, Burton a fait appel à de vieux complices (Michael Keaton, Danny DeVito, Eva Green) qu’il ne semble pas prendre la peine de diriger. Eva Green fait ainsi de son mieux pour donner de l’épaisseur à un personnage malheureusement sous-exploité et Keaton et DeVito font leur numéro de cabotinage habituel, n’offrant rien de foncièrement enthousiasmant. Il y a ainsi de nombreuses séquences où Burton lui-même semble aux abonnés absents, livrant le minimum syndical avec un certain talent certes, mais qui ne fait pas illusion longtemps. On ne peut pas reprocher à un cinéaste d’avoir un style qui évolue mais on peut lui reprocher une certaine lassitude, une certaine paresse. C’est ce que Tim Burton semble avoir depuis plusieurs années et si Dumbo lui offre un élan qui fait plaisir à voir de par sa générosité et son humanité, force est de reconnaître qu’on reste tout de même dans un terrain connu de plus en plus défriché…