L’île au trésor, micro-société pleine de vitalité

Guillaume Brac aime les espaces solaires, pour en faire ressortir des sensations particulières. On se souvient du merveilleux diptyque qu’est le court-métrage LE NAUFRAGÉ avec le moyen-métrage UN MONDE SANS FEMMES. En dehors des questions financières, il y a là une manière de vouloir repérer, connaître et s’imprégner d’un lieu avant de pouvoir y installer un personnage. Guillaume Brac a besoin d’avoir une relation pré-établie pour savoir où il va, pour que son oeuvre prenne une direction précise. A la manière de Claire Simon avec LE BOIS DONT LES RÊVES SONT FAITS, Guillaume Brac pose sa caméra et regarde, explore, écoute. Puis, sans que l’on entende sa propre voix, il interroge quelques personnes, afin que la contemplation collective soit accompagnée par l’expérience individuelle. Ce que fait Guillaume Brac, en posant sa caméra et en y sondant plus en détails à plusieurs reprises, est de faire ressortir une micro-société à l’intérieur de ce centre de loisirs.

Une autre société, où s’opposerait le royaume de l’enfance et le royaume de la tragédie adulte. Parce qu’à de nombreuses reprises, des personnes mentionnent leur vie quotidienne / extérieure, ce quotidien dont ils se séparent le temps d’une après-midi, ou d’une soirée, voire d’une journée. Déjà par sa photographie mettant en lumière la grande beauté de l’étendue, L’ÎLE AU TRÉSOR est une ode au plaisir pur, au divertissement incarné. Que ce soit des adolescents qui tentent de séduire des demoiselles, les échanges de numéros ou de comptes snapchats, ce retraité aisé qui raconte une anecdote (presque) délicieuse, ou toute une famille qui pique-nique ensemble : il y a l’intention d’apporter ce bonheur nécessaire à la vitalité. Dans ce centre de loisirs, les clients se sentent pleinement vivre, ils vivent à fond, et font de cet espace leur terrain de jeu favori. Pas loin des contes d’Éric Rohmer.

Guillaume Brac peut alors utiliser un ton léger, pour contempler et explorer les personnes qui vont et viennent dans ce centre. Idéalement composé, avec son grand point d’eau en plein milieu, et son pont attirant les convoitises des plus casses-cous, le paysage permet toutes les folies et de se relâcher. C’est ce que filme le cinéaste : cette manière de décompresser, de se donner complètement à l’espace. Jamais, dans le film, il n’y a de gens qui font des pas en arrière. Ce sont toujours des pas en avant : vers d’autres personnes, vers les points d’eau, vers les jeux collectifs, vers l’entrée du centre, etc. Toutefois, Guillaume Brac arrive à capter quelques moments plus sombres, et à faire ressortir la réalité sociale qui compose cette micro-société. Quand des mineurs tentent d’entrer malgré une interdiction, quand la pluie s’abat sur le centre le laissant fermé, quand les dirigeants sont confrontés à des décisions difficiles (on pourrait ici repenser aux dirigeants de l’université dans le documentaire AT BERKELEY de Frederick Wiseman), etc. Les plans nocturnes font parti des plus beaux du film. Guillaume Brac arrive à mettre en miroir, délicatement et implicitement, un imaginaire (créé par l’espace lumineux) et la réalité qui rattrape les personnes.

Le cinéaste réussit à mettre en miroir un autre élément, qui saute aux yeux lorsque que le documentaire commence à se concentrer sur des individualités. Il s’agit du cadre bien réglé du centre de loisirs, face au côté sauvage qui entoure le centre. Les deux espaces, bien différents dans leur photographie et leur composition, sont toujours occupés. Ces deux espaces attirent constamment des gens, mais le cadre ne les capte pas de la même manière. Même si certains cadres serrés se faufilent dans la contemplation du centre – avec quelques champs / contre-champs modestes pour se concentrer sur les échanges -, le cadre est bien plus intime dans les recoins sauvages. Il y a une parole qui résume bien ce geste entre les deux espaces distincts : « c’était mieux du temps où c’était sauvage ». Guillaume Brac fait de ce centre de loisirs, cette ÎLE AU TRÉSOR, un lieu où reposent et se construisent les désirs.

 

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