Tesnota – Une vie à l’étroit : Attrape bobos

Au même titre que certains blockbusters qui à force de vouloir impressionner le public moderne toujours à la recherche de plus de sensations fortes, tombent dans une surenchère numérique vaine et caricaturale, il serait peut-être temps de se pencher sérieusement, au-delà des simples phrases chocs de certains magazines « sérieux » tels que les Cahiers du Cinéma, sur cette espèce bien particulière de films « radicaux chic pour festivals prestigieux » au premier rang desquels Cannes se fait un devoir de nous abreuver de ces représentants bien moins audacieux qu’ils ne voudraient le croire d’un cinéma tellement sûr de ses effets et de sa suprématie sur le reste qu’il finit par en devenir tout aussi caricatural que les films grand public, et pour tout dire, assez exaspérant. Car si dans certains cas, cette radicalité auto proclamée peut s’avérer bénéfique lorsqu’elle sert un point de vue fort de cinéaste sur son sujet, elle en devient très rapidement stérile et insupportable lorsque ces effets chocs arrivent comme un cheveu sur la soupe, comme pour réveiller le spectateur de sa torpeur. C’est malheureusement le cas de ce premier film qui nous arrive pourtant précédé d’une flatteuse réputation, avec l’étiquette « film prodigieux qui marquera l’année ». Ce qui a de quoi laisser plus que perplexe au vu du résultat qui apparaît inversement proportionnel en qualité à tous ces dithyrambes critiques.

Situé à Nalchik, dans le Nord Caucase en Russie à la fin des 90’s, le film prend place dans une famille juive, dont on devine qu’elle est comme dans le monde entier, malheureusement victime de préjugés persistants qui la fait se replier sur elle-même. Lorsque le fils de la famille est kidnappé avec sa fiancée et qu’une rançon est demandée, il est exclu d’appeler la police et chacun devra faire des choix risquant de bouleverser l’équilibre déjà précaire de la famille. Inspiré d’un fait divers réel qui n’a pas de quoi alimenter tout un récit de 2 heures, on comprend que le cinéaste soit obligé de broder autour comme bon lui semble. Mais c’est justement là que le bât blesse, et pas qu’un peu.

On peut dire que le jeune cinéaste, qui a été à bonne école puisqu’il a été élève de Alexandre Sokourov, grand formaliste du cinéma Russe, a conscience de la potentielle puissance de son cinéma, et qu’il ne fait donc rien pour brosser le spectateur dans le sens du poil. A priori, nous n’avons rien contre une bonne leçon de cinéma aride et radicale, au rythme lent et aux enjeux graves n’invitant pas à la joie de vivre. Entre de bonnes mains, cela peut donner des chefs d’œuvre absolus, et le cinéma de l’Est n’est d’ailleurs pas avare en la matière. Seulement il apparaît très rapidement ici que rien ne sera fait pour susciter la moindre lueur d’empathie envers des personnages, qui hormis la jeune femme incarnée avec puissance par la débutante Darya Zhovner, n’apparaissent pas spécialement sympathiques, rendant toute identification quasiment impossible. Mais on s’accroche malgré tout, grâce à une mise en scène incontestablement rigoureuse pouvant provoquer une certaine fascination hypnotique, par son aspect quasiment expérimental, mais également grâce à des scènes de la vie familiale dont on ne peut nier l’authenticité. Mais le point de non retour est définitivement atteint lorsque le cinéaste, que l’on nous a vendu comme libre et audacieux, se sent obligé de nous gratifier d’une scène « trash » pour nous montrer qu’il ne rigole pas et que tout ça est très sérieux, des fois qu’on ne l’aurait pas encore compris. C’est ainsi qu’au détour d’une scène anodine, il nous inflige pendant quelques minutes qui nous paraissent durer le triple, un plan fixe sur une télé que regardent les personnages, sur laquelle nous assistons à l’exécution sommaire de soldats en Tchétchénie, humiliés et égorgés. Cette irruption soudaine de la sauvagerie par le prisme d’images réelles et insoutenables, pourrait éventuellement trouver un semblant de légitimité si elle permettait de recontextualiser un peu mieux le contexte délétère dans lequel le film se place. Seulement à aucun moment le cinéaste ne cherche à nous expliquer quoi que ce soit, partant du principe que cela va de soi et que le public dans le monde entier, aura forcément tous les repères nécessaires. Seulement ce n’est pas si simple que ça, et on ne peut tolérer cette utilisation putassière de la souffrance concrète et injustifiable à des fins « artistiques », et il aurait tout à fait été possible de faire œuvre politique sans en passer par ces instants qui font passer le film d’œuvre austère et cafardeuse, mais somme toute inconséquente au milieu de tous les films similaires inondant les écrans, à film profondément désagréable et antipathique, qui se subit comme une véritable punition. Dès lors, hanté par ces images quasiment traumatisantes, on ne peut regarder le reste du film comme si de rien n’était, et l’on vit la seconde moitié comme un interminable chemin de croix semblant tester à chaque instant les résistances des plus endurcis, sur un rythme de plus en plus lent et insupportable, dans une ambiance sordide d’où toute relation humaine saine et équilibrée est exclue. On est donc plongés dans un vortex de tristesse proprement désespérante ne laissant place à aucune lueur d’espoir, malgré des scènes caricaturales typiques, là encore, d’un certain cinéma d’auteur sûr de ses effets, dans lesquelles la jeune femme principale se lance dans des danses libératrices, certainement censées symboliser cette jeunesse refusant de capituler face à un climat social atterrant et cherchant à les faire rentrer dans un moule intenable.

Malgré la prestation forte de la jeune actrice principale faisant office de vraie révélation, et une maîtrise certaine de la mise en scène ultra formaliste, quoi que sans surprises, avec son format carré symbolisant l’enfermement des personnages, nulle trace de la moindre audace ou liberté  artistique malgré ce qui a pu être dit, juste un (très) long enfer pour le spectateur soumis de force aux caprices d’un jeune cinéaste (25 ans au moment du tournage) poseur et sûr de ses effets, qui aura intérêt à sortir de sa zone de confort calibrée pour extasier le bobo facilement impressionnable au festival de Cannes, s’il souhaite accéder à la catégorie supérieure. Son premier film est tout bonnement insupportable et contestable intellectuellement et moralement.

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