Le Tigre Blanc : Prêt à sortir les griffes

Depuis le début de sa carrière Ramin Bahrani n’a cessé d’explorer les inégalités sociales de notre monde actuel avec un œil particulièrement aiguisé. Remarqué de façon internationale avec 99 Homes (réalisé en 2014 mais visible en France seulement deux ans plus tard), il avait réalisé en 2018 pour HBO une adaptation de Fahrenheit 451 et le voici désormais aux commandes d’un nouveau film, disponible sur Netflix depuis le 22 janvier dernier.

Avec Le Tigre Blanc, adaptation d’un best-seller de Aravind Adiga, Bahrani pose sa caméra en Inde et s’attache à y décrire sans ambages la difficulté d’y vivre pour peu que l’on naisse pauvre dans une caste inférieure. Le film décrit l’ascension de Balram, ambitieux jeune homme bien décidé à ne pas rester toute sa vie dans son village. Il parvient ainsi à se faire embaucher comme chauffeur auprès d’Ashok, fils d’un riche homme trempant dans des affaires louches. Formé dès son plus jeune âge à servir ses maîtres quoiqu’il arrive, il subit sans broncher leurs sautes d’humeur, ceux-ci se montrant tantôt très familiers et sympathiques avec lui, tantôt totalement méprisants et abjects. Pour Balram la coupe est pleine le jour où ses maîtres veulent lui faire porter le chapeau d’un malheureux accident. Il décide alors de se rebeller contre ce système d’oppression et de gravir les marches de l’ascension sociale, quitte à faire quelques victimes au passage…

C’est donc à une classique histoire de satire sociale que l’on assiste, avec le goût de déjà-vu que cela peut impliquer (surtout que Parasite est déjà brillamment passé par là) et ses quelques gros sabots narratifs. Le film est en effet toujours accompagné d’une voix-off permettant de mieux nous expliquer certaines situations et certains enjeux. Si l’on voit mal comment, dans l’absolu, Le Tigre Blanc aurait pu s’en passer, celle-ci alourdit considérablement l’ensemble surtout qu’elle est loin d’être toujours utile, surlignant parfois ce que tout spectateur attentif aurait remarqué. Le propos à charge de Bahrani s’accompagne également de métaphores peu subtiles (mais cependant efficaces) et quitte à ce que le pas soit aussi lourd, on aurait apprécié que le film soit encore plus noir et même plus concis, le basculement de la deuxième partie méritant un traitement un peu plus radical.

S’il n’y a donc pas là matière à crier au génie, cela n’empêche pas Le Tigre Blanc d’étaler son récit de façon redoutable, s’attardant avec minutie sur les deux facettes de son pays. D’un côté, l’Inde moderne et dynamique, de l’autre l’Inde encore attachée à ses vieilles traditions où la pauvreté est extrême, forçant à la compétition les personnes des castes inférieures pour accéder à un peu de lumière. Le film tape également méchamment sur le couple de maîtres incarnés par Rajkummar Rao et Priyanka Chopra, affichant une évidente volonté de modernisme après avoir vécu en Amérique mais n’ayant guère de scrupules à utiliser ce système de caste et d’oppression à leur avantage sans jamais essayer de se mettre à la place de Balram. Ainsi quand Ashok déclare à Balram qu’il envie la simplicité de sa vie, difficile de croire qu’il a sérieusement considéré ce qu’impliquait une telle existence, le riche ne voyant évidemment que ce qui l’arrange.

Cette brutalité des rapports sociaux, parfois totalement terrifiants (ainsi les maîtres prennent bien soin de savoir où se trouvent les familles de leurs serviteurs, utile en cas de représailles si l’un d’entre eux vole quelque chose) illustre bien l’impossibilité des serviteurs d’accéder à autre chose que ce que leur statut social leur permet. Le seul moyen de briser les cloisons sociales est à travers la violence, beaucoup plus brutale que celle, insidieuse, utilisée par les maîtres pour garder leurs serviteurs à leur place. Le constat a beau résonner comme une mélodie que l’on connaît déjà, le contexte est passionnant et Bahrani sait insuffler dans sa mise en scène l’énergie et la tension nécessaire pour nous accrocher. Qu’importe dès lors si le scénario manque de tenue et emprunte quelques chemins faciles, le résultat n’en est pas moins hautement recommandable et suffisamment féroce pour valoir le détour.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*