La Grande Pagaille : Débandade générale

Éditeur prolifique et très éclectique, Rimini Editions nous propose toujours de façon récurrente de fabuleuses découvertes cinéphiles. Avec La Grande Pagaille, disponible en Combo Blu-ray + DVD depuis le 6 octobre dernier, voilà que l’éditeur nous offre un grand film du cinéma italien dans ce qui apparaît aujourd’hui comme l’un des regards les plus pertinents sur l’armistice italien signé avec les Forces Alliées en 1943 et la débâcle qui a suivie.

La Grande Pagaille porte bien son titre français (même si le titre original italien se traduit par ‘’tous à la maison’’) puisque c’est en effet dans une véritable pagaille qu’est plongée l’Italie à la suite de cet armistice signé avec les Alliés. Brusquement les soldats sont démobilisés, laissés sans instructions et les troupes allemandes les voient désormais comme des ennemis. Alors que certains rejoignent le maquis, d’autres soutiennent les troupes fascistes. Le lieutenant Innocenzi lui, veut juste rentrer chez lui. Très vite abandonné par ses soldats, il se retrouve seulement avec trois compagnons d’infortune. Déguisés en civils, les quatre hommes vont parcourir le pays pour rentrer chez eux, en essayant de survivre aux différents dangers se dressant sur leur route.

Ce qui frappe d’emblée dans le film, c’est la richesse de tons qu’il emploie. Le cinéma italien des années 50 et 60 avait compris, mieux que quiconque, que l’humanité ne peut se ranger dans une seule case et une seule émotion. La force du cinéma de cette époque est de ne jamais se cantonner à un registre pour un seul film, celui-ci pouvant mêler de fabuleux moments comiques comme de bouleversantes séquences tragiques. La Grande Pagaille en est une parfaite illustration, ne perdant jamais de vue son réalisme historique et le sérieux de son contexte sans pour autant verser dans le pathos ni forcer le trait de ses aspects comiques.

Il en résulte une œuvre qui frappe encore aujourd’hui par la puissance de sa mise en scène et par sa force humaniste : Comencini sait faire rire quand il dépeint trois gaillards voler la charcuterie de leur compère mais il n’a pas peur de la réalité. Ainsi la découverte d’un camion de farine par un groupe de villageois affamés débouche sur une scène que l’on jurerait sortie d’un film d’horreur tandis que les retrouvailles avec un père exigeant viennent faire monter les larmes aux yeux. Dans son récit, Comencini ne se pose pas en moraliste et n’érige pas ses personnages en héros. Ce sont des soldats comme les autres, perdus dans une situation inconnue, lâchés par leur armée et leurs dirigeants qui aspirent simplement à rentrer chez eux au cœur d’un conflit qui ne veut pas les laisser tranquilles. Au cœur de cette débâcle, La Grande Pagaille capte les mouvements de foule, la solidarité qui peut se créer ou au contraire l’égoïsme des gens ne pensant qu’à sauver leur peau. Un saucisson peut sauver une vie, de la farine peut causer une émeute, on peut être abattu parce qu’on aide une juive, parce qu’on se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment, on peut reprendre les armes aussi, parce que la situation nous force et parce qu’il y a trop d’injustices pour que justement, nos personnages puissent rentrer tranquillement à la maison.

D’une intelligence remarquable, le film dresse ainsi le portrait d’une Italie désemparée le temps de quelques jours et permet à Comencini de démontrer tout son savoir-faire. Jamais voyeuriste, jamais ostentatoire, sa mise en scène (rehaussée par la qualité du master que nous offre Rimini) est d’une précision redoutable dès qu’il s’agit de capter l’humain et de le remettre au cœur des enjeux. Entouré par Serge Reggiani et Martin Balsam, Alberto Sordi fait des merveilles dans le rôle d’Innocenzo, lieutenant perdu sans guère d’autorité, soumis à celle d’un père qui ne le comprend pas. Sa composition subtile, cernant les qualités et défauts de son personnage, achèvent de faire du film un indispensable du cinéma italien, à découvrir d’urgence.

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